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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitres XXXI à XXXIII).djvu/17

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cet enfant, c’était la fille de notre dame… Voilà ce que je vis, monseigneur, et cela est aussi sûr que vous êtes là. Quand je rentrai à la maison, j’appris que vous étiez venu, et que notre dame était partie.

La nourrice, alors, reprit :

— Ce qui s’était passé entre elle, vous, et monseigneur Henri, je ne le sus pas tout de suite, mais je le devinai en partie par les paroles désespérées qui échappèrent à la pauvre mère… Un homme vint… il rapportait la fillette… la mère faillit devenir folle de joie… Elle s’élança pour vous retrouver, en nous défendant de la suivre… Qu’est-elle devenue ? Je ne sais. Je la pleure depuis ce temps, comme si elle était morte. Voilà tout ce que nous savons, monseigneur. J’ai compris, allez ! J’ai compris le malheur, et que vous aviez injustement soupçonné la plus pure, la plus fidèle des épouses… Les premières années, quand j’étais forte encore, je venais à Paris à chaque anniversaire du malheur ; mais jamais je ne pus vous voir, jamais je ne pus la retrouver, elle… Maintenant, je ne pleure plus, parce que mes yeux n’ont plus de larmes, mais je mourrai en bénissant celui qui viendra me dire : « Elle vit… elle sera heureuse… tant d’injustice sera réparée ! » Monseigneur, est-ce cela que vous êtes venu dire à la pauvre vieille nourrice de Jeanne ?…

Le duc de Montmorency s’agenouilla devant la vieille paysanne :

— Bénissez-moi donc, fit-il d’une voix brisée par les sanglots, car je vous le dis : Elle vit ! Tant d’injustice recevra une éclatante réparation, et Jeanne sera heureuse.

L’humble tenancière fit ce que son seigneur lui demandait ; elle étendit sur sa tête ses mains tremblantes et le bénit… Alors, tous les trois, silencieusement, rentrèrent dans la maison.

François s’enferma pendant une heure dans la petite pièce où était née Loïse. Il y resta sans lumière. Les deux vieillards l’entendirent qui pleurait, parlait à haute voix, tantôt avec des éclats de fureur, tantôt avec une douceur infinie.

Puis, lorsqu’un peu de calme fut redescendu en lui, il sortit de la pièce, dit adieu aux deux vieux, et monta à cheval. À Montmorency, il s’arrêta devant la maison du bailli qu’il réveilla, et qui, tout empressé, tout effaré de ce retour imprévu du seigneur, voulait courir faire sonner les cloches.

Mais François l’arrêta d’un geste, et se contenta de demander des parchemins sur lesquels il écrivit rapidement quelques lignes. Ces parchemins, la vieille nourrice les reçut dès le lendemain : c’était une donation pour elle et ses descendants de la maison qu’elle habitait avec les champs y attenant, et une donation de vingt-cinq mille livres d’argent.

En quittant le bailli, François se rendit au château ; là encore, il y eut grand émoi ; mais le maréchal se contenta de faire venir l’intendant et lui donna ordre de tout mettre en état, disant que sous peu, il viendrait habiter le château ; il insista surtout pour que toute une aile fut remise à neuf et luxueusement agencée, ajoutant simplement qu’il aurait l’honneur d’héberger deux princesses de haute qualité à qui cette aile du château serait destinée.

Alors seulement, il s’éloigna au galop, et prit le chemin de Paris.

Il y arriva comme on ouvrait les portes, et se dirigea en une course furieuse vers son hôtel.

Ses pensées demeuraient confuses. Il avait la tête comme endolorie par l’extraordinaire événement qui bouleversait son existence de fond en comble.

Par fugitives lueurs, cette constatation se dressait dans son esprit, Jeanne était fidèle ! Jeanne était sa vraie femme ! Et lui en avait épousé une autre !

Mais cette pensée, il l’écartait avec une sorte de rage et concentrait tout son effort sur ce point unique :

Jeanne courait un grave danger !

Il fallait la retrouver, la sauver, lui rendre