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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitres XXXI à XXXIII).djvu/4

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Longtemps il demeura là, méditatif, contemplant le théâtre de son bonheur et de son désastre.

Puis il s’en alla.

Et jamais plus la pensée ne lui vint de retourner rôder autour de Margency : il venait d’y trop souffrir.

La destinée des hommes tient souvent à bien peu de chose : si François avait eu le courage de pousser jusqu’à Margency et d’y recueillir des témoignages, qui sait s’il ne fût pas bientôt arrivé à constater la parfaite innocence de Jeanne de Piennes ?

Il y eut pourtant une circonstance où cette innocence faillit éclater aux yeux de François, sans qu’il l’eût cherchée.

En 1567 eut lieu la bataille de Saint-Denis[1] entre huguenots et catholiques. Les huguenots venaient de remporter quelques avantages et s’étaient avancés tout près de Paris. Le connétable Anne fit une sortie, chargea à la tête de sa cavalerie et, ce jour-là encore, il se fit un grand carnage d’hérétiques.

Seulement, dans la bagarre, le connétable fut blessé mortellement.

Le blessé fut transporté à l’hôtel de Mesmes qui appartenait à son fils, Henri, duc de Damville. À ce moment, Henri était en Guyenne où il se distinguait par son zèle à imposer la messe aux hérétiques. François se trouvait à Paris. Il n’avait pas revu son père depuis trois ans. À la première nouvelle que le connétable était dangereusement blessé, il accourut à l’hôtel de Mesmes, certain qu’il était de n’y pas rencontrer son frère.

Il trouva le connétable couché, la tête emmaillotée, et dictant ses dernières volontés à son scribe.

Lorsque le vieux Montmorency eut terminé, il aperçut son fils aîné qui venait d’entrer dans la chambre, et un rayon de joie illumina cette tête de moribond.

Un chanoine de Notre-Dame arriva, qui lui administra alors l’extrême-onction.

Et comme ses serviteurs, à genoux, pleuraient dans la chambre, il leur fit remarquer en souriant que leurs lamentations pourraient troubler M. le chanoine. Presque aussitôt, il reçut un envoyé du roi et de Catherine de Médicis qui exprima la vive douleur royale de ses maîtres. Et comme cet ambassadeur voulait le consoler :

— En quatre-vingts ans d’existence, répondit-il, pensez-vous que je n’aie pas appris à mourir en dix minutes ?

Et il renvoya tout le monde, faisant signe à son fils François de demeurer seul près de lui.

Cependant l’agonie était proche. La respiration du connétable devint sifflante. Le mourant dut faire un grand effort pour prononcer quelques paroles que François put recueillir en se penchant sur lui.

— Mon fils, dit-il, si près de la mort, on voit les choses autrement qu’on ne les voyait… Peut-être, en de certaines circonstances, ne me suis-je pas assez préoccupé de votre bonheur… Répondez-moi franchement, êtes-vous heureux ?…

  1. Bataille de Saint-Denis. Deuxième guerre de religion.