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Page:La Phalange, tome 2, 1845.djvu/439

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Or, ce profond murmure était l’effort sacré
Du souffle créateur hors du sol attiré ;
Et tout à coup la vie, incessante et féconde,
Tendit et crevassa la surface du monde !

Un jour égal et pur illumina les cieux.
D’innombrables sillons, profonds et spacieux,
Du carré de la terre emplirent l’étendue ;
Et troublant de nouveau ma pensée éperdue,
Des millions d’épis, éclatantes moissons,
S’élevèrent avec de sublimes chansons.
Enfantement divin et glorieuse aînesse,
Ils rayonnaient gonflés de force et de jeunesse.
J’entendais, du milieu de leur douce rumeur,
S’exhaler le saint nom de l’éternel semeur ;
Et, pénétré du Dieu dont tout garde la trace,
Je m’enivrai long-temps de leur splendide grâce !
Du creux des sillons verts fièrement élancés,
Ils embaumaient l’air pur qui les avait bercés,
Et sous l’heureux abri de leur ombre endormante,
Tout être gracieux, toute chose charmante.
L’oiseau, chanteur ailé, dans son berceau soyeux,
Et l’hermine sans tache et gazelle aux doux yeux,
Et rose et lys de neige, asphodèle effleurée
D’une larme d’azur que l’aurore a pleurée,
Chantaient et parfumaient ces épis glorieux.
Fruits sacrés de l’hymen de la terre et des cieux !
Mais bientôt je vis poindre, herbes inextricables,
La ronce avec l’ivraie, aux germes implacables,
Qui toujours labourés, foulés, incendiés,
Tenaces et maudits renaissent sous les piés ;
La ronce avec l’ivraie ! où les pales vipères
Aux corps glacés et nus, vont cacher leurs repaires…
Et je les vis d’abord, comme un humble tapis,
Ramper dans les sillons aux pieds des grands épis ;
Puis, sûres de leur force, alertes et hardies,
Se dresser, pressurer les tiges arrondies,
Et d’un épais réseau multipliant les nœuds.
Dans leur ombre étouffer les épis lumineux !
Et l’oiseau fut en proie aux livides reptiles…
Les voraces chacals, les hyènes subtiles,