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Car le poète seul peut tutoyer les rois.

Vient ensuite l’élève Sully-Prudhomme, à son ordinaire bon poète et philosophe appréciable, mais courtisan médiocre dans la circonstance, ce qui ne peut lui être imputé à crime.

J’ai gardé pour la fin Julius Claretie, jadis démagogue fougueux, mué par Kronos et la Fortune en adulateur du pouvoir absolu. Pour celui-ci pas d’excuse. Si Molière, dont la renommée surpasse ici celle de notre Aristotophanès, entendit des Champs Élyséens la harangue du directeur de son théâtre, ses ossements ont dû s’entrechoquer. Les vers de ce romancier sont de ceux qui serpentent sur de petite instruments de musique, formés du roseau cher à Pan et nommés mirlitons. Par Zeus ! Il est heureux qu’Apollon eût remisé son fulgurant quadrige avant l’instant où fut à des oreilles royales clamée cette rhapsodie !

Pour copie :
g. de raulin.

Note — Toute liberté à la discussion. La critique doit précéder les œuvres : nos lecteurs trouveront ci-après les pièces (de vers) du procès,

l. d.


LA MUSE FRANÇAISE


À Leurs Majestés l’Empereur
et l’Impératrice de Russie.


I

Salut à l’Empereur

Pax et Robur.


Très illustre Empereur, fils d’Alexandre Trois !
La France, pour fêter ta grande bienvenue,
Dans la langue des Dieux par ma voix te salue,
Car le poète seul peut tutoyer les rois.

Et Vous, qui près de Lui, Madame, à cette fête
Pouviez seule donner la suprême beauté,
Souffrez que je salue en Votre Majesté
La divine douceur dont votre grâce est faite.

Voici Paris ! Pour vous les acclamations
Montent de la cité riante et pavoisée
Qui, partout, aux palais comme à l’humble croisée,
Unit les trois couleurs de nos deux nations.

Pour vous, Paris en fête, au long du large fleuve
Qui roule dans ses flots les sons et les couleurs,
Gigantesque bouquet de flammes et de fleurs,
Met aux arbres d’automne une floraison neuve.

Et sur le ciel au loin, ce Dôme éblouissant
Garde encor des héros de l’époque lointaine
Où Russes et Français en un tournoi sans haine,
Prévoyant l’avenir, mêlaient déjà leur sang.

Sous ses peupliers d’or, la Seine aux belles rives
Vous porte la rumeur de son peuple joyeux ;
Nobles hôtes, vers vous les cœurs suivent les yeux.
La France vous salue avec ses forces vives !

La Force accomplira les travaux éclatants
De la Paix, et ce pont jetant une arche immense
Du siècle qui finit à celui qui commence,
Est fait pour relier les peuples et les temps.

Qu’il soit indestructible, hospitalier à l’hôte,
Que le ciment, la pierre, et que le métal pur
S’y joignent, et qu’il soit assez large et si sûr
Que les peuples unis y passent côte à côte.

Et quand l’aube du siècle à venir aura lui,
Paris, en un transport d’universelle joie,
Ouvrira fièrement la triomphale voie
Au couple triomphal qu’il acclame aujourd’hui.

Sur la berge historique avant que de descendre,
Si ton généreux cœur aux cœurs français répond,
Médite gravement, rêve devant ce pont,
La France le consacre à ton père Alexandre.

Tel que ton père fut, sois fort et sois humain.
Garde au fourreau l’épée illustrement trempée,
Et, guerrier pacifique appuyé sur l’épée,
Tsar, regarde tourner le globe dans ta main.

Le geste impérial en maintient l’équilibre ;
Ton bras doublement fort n’en est point fatigué.
Car Alexandre, avec l’Empire, t’a légué
L’honneur d’avoir conquis l’amour d’un peuple libre !

Oui, ton père a lié d’un lien fraternel
La France et la Russie en la même espérance ;
Tsar, écoute aujourd’hui la Russie et la France
Bénir, avec le tien, le saint nom paternel.