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Page:La Révolution surréaliste, n02, 1925.djvu/24

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CHRONIQUES

lité. Vous avez d’irrépressibles douleurs dont l’essence est d’être inadaptable à aucun état connu, inajustable dans les mots. Vous avez des douleurs répétées et fuyantes, des douleurs insolubles, des douleurs hors de la pensée, des douleurs qui ne sont ni dans le corps ni dans l’âme, mais qui tiennent de tous les deux. Et moi, je participe à vos maux, et je vous le demande: qui oserait nous mesurer le calmant ? Au nom de quelle clarté supérieure, âme à nous-mêmes, nous qui sommes à la racine même de la connaissance et de la clarté. Et cela, de par nos instances, de par notre insistance à souffrir. Nous que la douleur a fait voyager dans notre âme à la recherche d’une place de calme ou s’accrocher, à la recherche de la stabilité dans le mal comme les autres dans le bien. Nous ne sommes pas fous, nous sommes de merveilleux médecins, nous connaissonsle dosage de l’âme, de la sensibilité, de la moelle, de la pensée. Il faut nous laisser la paix, il faut laisser la paix aux malades, nous ne demandons rien aux hommes, nous ne leur demandons que le soulagement de nos maux. Nous avons bien évalué notre vie, nous savons ce qu’elle comporte de restrictionsen face des autres, et surtout en face de nous-mêmes.Nous savons à quel avachissement consenti, à quel renoncement de nousmême, à quellesparalysiesde subtilités notre mal chaque jour nous oblige. Nous ne nous suicidons pas tout de suite. En attendant qu’on nous foute la paix.

i01’janvier 1025.

La Mort :

La Muraille de Chêne

C’est, le bébé Caduni éternellement,souriant sur le mur, c’est la phrase sublime de Robespierre : « Ceux qui nient Vimmortalitéde l’âme se rendent justic-. », c’est le laurier qui jaunit au pied d’une colonnevolontairement tronquée, c’est le reflet du pont, c’est le parapluie brillant comme un monstre marin et vu, un jour de pluie, du haut d’un cinquième étage. Croyais-tu en l’immortalité de l’âme, tribun disparu ? Peu m’importe ; toute assurance est ici vaine. L’inquiétude seule suppose quelque noblesse. L’immortalité au reste, est immonde: Seule l’éternité vaut d’être considérée. L’horrible est que la majorité des hommeslient le problèmede la mort à celui de Dieu. Que ce dernier soit un lotisseur céleste et problématique, une superstition attachée à un fétiche assez poétique en soi (croissant, croix, phallus ou soleil) ou une croyance infiniment respectable à un domaine d’infinis successifs, je considéreraitoujours son intervention funéraire, de par la volonté humaine,commeune escroquerie.

Celuiqui ne doute pas de l’inexistencede Dieu rend concrète son inadmissible ignorance, la connaissancedes éléments spirituels étant spontanée. Presque toujours celui qui croit en Dieu est un lâche et un matérialiste borné à sa seule apparence anatomique. La mort est un phénomène matériel. Y faire intervenir Dieu, c’est le matérialiser. La mort de l’esprit est un nonsens. Je vis dans l’éternité en dépit du ridicule d’une semblabledéclaration.Je crois vivre, donc je suis éternel. Le passé et le futur servent la matière. La vie spirituelle comme l’éternité se conjugue au présent.

Si la mort me touche, ce n’est pas en ce qui concerne ma pensée, mon esprit, que ne saurait voiturer le plus beau corbillard, mais les sens. Je n’imagine pas d’amour sans que le goût de la mort, dépourvue d’ailleurs de toute sentimentalité et de toute tristesse, y soit mêlé. Merveilleuses satisfactions de la vue et du toucher, perfection des jouissances,c’est par votre entremise que ma penséepeut entrer en relation avec la mort. Le caractère fugitif de l’amour est aussi le sien. Si je prononce l’élogede l’un, c’est celui de l’autre que je commence.O femmes aimées! vous que j’ai connues,vous que je connais, toi blondeflamboyantedont je poursuisle rêvedepuis deux ans, toi brune et. couverte de fourrures sacrées, toi encore que je m’obstine à rencontrer et à suivre dans des milieuxdiverset qui tedoutes de ma pensée sans y souscrireencore, femme de trente ans passés, jeune fillede vingt ans et Ds autres, je vous convietoutes à mon enterrement. Un enterrement commeil se doit, bien grotesque et ridicule, avec des fleursjaunes et les palotins du père Ubu en croque-mort!

A moins que d’ici là...

Le caractère fugitif de l’amour est aussi celui de la mort,

ROBERTDESNOS.

BoulevardEdgard-Quinel,

à minuit.

Man Rail.