Page:La Révolution surréaliste, n04, 1925.djvu/5

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faut éviter dès maintenant la moindre erreur de tactique : ceci pour l’extérieur. À l’intérieur il conviendrait de ne pas laisser s’accentuer quelques divergences de vues, assez artificielles en somme, mais de nature un jour ou l’autre à nous paralyser. On aimera peut-être savoir en quoi ont consisté jusqu’ici ces divergences et sur quelle entente nouvelle je puis bien baser la présente déclaration.

Le problème de l’objectivation des idées qui domine le débat qui nous occupe est, naturellement, celui qui parmi nous a donné lieu aux plus âpres controverses. À notre époque, les idées nouvelles ne rencontrent pas obligatoirement l’hostilité générale et c’est ainsi qu’autour de nous nous avons vu le surréalisme bénéficier d’un assez large crédit, tant à l’étranger qu’en France. On veut bien attendre quelque chose de nous. Si les mots de « Révolution surréaliste » laissent le plus grand nombre sceptique, du moins ne nous dénie-t-on pas une certaine ardeur et le sens de quelques possibles ravages. À nous de ne pas mésuser d’un tel pouvoir. Mais le surréalisme est-il une force d’opposition absolue ou un ensemble de propositions purement théoriques, ou un système reposant sur la confusion de tous les plans, ou la première pierre d’un nouvel édifice social ? Selon la réponse que lui paraît appeler semblable question, chacun s’efforcera de faire rendre au surréalisme tout ce qu’il peut : la contradiction n’est pas pour nous effrayer. On s’est sans doute un peu hâté de décréter que toute licence devait être donnée à la spontanéité, ou qu’il fallait se laisser aller à la grâce des événements, ou qu’on n’avait chance d’intimider le monde qu’à coups de sommations brutales. Chacune de ces conceptions, primant tour à tour, a eu pour effet de nous dérober le bien fondé originel de la cause surréaliste et de nous inspirer d’elle un regrettable détachement.

Je fais à nouveau appel à la conviction qu’ici nous partageons tous, à savoir que nous vivons en plein cœur de la société moderne sur un compromis si grave qu’il justifie de notre part toutes les outrances. Que la beauté, la vérité, la justice inclinent leurs fronts fantomatiques et charmants sur nos tombeaux, nous sommes sûrs de ressusciter toujours. Nous n’avons pas trop de toutes nos mains agrippées à une corde de feu le long de la montagne noire. Qui parle de disposer de nous, de nous faire contribuer à l’abominable confort terrestre ? Nous voulons, nous aurons « l’au-delà » de nos jours. Il suffit pour cela que nous n’écoutions que notre impatience et que nous demeurions, sans aucune réticence, aux ordres du merveilleux. Quels que soient les moyens auxquels nous jugerons bon de recourir, à quelque apparence fuyarde que la vie momentanément nous condamne, il est impossible dans notre foi en son aptitude vertigineuse et sans fin que nous puissions jamais démériter de l’esprit. Qu’il soit bien entendu cependant que nous ne voulons prendre aucune part active à l’attentat que perpétuent les hommes contre l’homme. Que nous n’avons aucun préjugé civique. Que, dans l’état actuel de la société en Europe, nous demeurons acquis au principe de toute action révolutionnaire, quand bien même elle prendrait pour point de départ une lutte de classes, et pourvu seulement qu’elle mène assez loin.

Dût l’ampleur du mouvement surréaliste en souffrir, il me paraît de rigueur de n’ouvrir les colonnes de cette revue qu’à des hommes qui ne soient pas à la recherche d’un alibi littéraire. Sans y mettre aucun ostracisme je tiens en outre à éviter par-dessus tout la répétition de menus actes de sabotage comme il s’en est déjà produits dans le sein de notre organisation. Au ciel, nous ne sommes pas à une étoile près. Ne demeurerions-nous sur un îlot presque perdu que quelques âmes en voie de se délivrer et sûres, mais vraiment sûres de la délivrance, que ce serait assez pour qu’indéfiniment les beaux navires fassent naufrage.


ANDRÉ BRETON