Page:La Révolution surréaliste, n07, 1926.djvu/28

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LA DERNIÈRE NUIT DU CONDAMNÉ A MORT — Letemps de mettre mes cheveux etj e suis à vous. C’était moi qui parlais et j’étais juché sur une des plus hautes branches d’un châtaignier centenaire. Il pleuvait beaucoup. Des enfants jouaient au pied de l’arbre. A l’intérieur du tronc qui était creux et ne tenant guère que par l’écorce, une poule pondait continuellement des oeufsqu’elle brisait, séancetenante, à coups de bec. Mon interlocuteur, un jeune fermier des environs enlevait son bouc et le mettait dans sa poche quand il était fatigué, le soir surtout, en fumant une grosse pipe de verre bleu, laquelle n’était autre qu’un isolateur évidé et muni d’un tuyau de roseau. Je descendis de mon arbre et prenant mon ami par le bras je partis à la chasse, quoique à cette époque de l’année les règlements en vigueur ne le permissent point. A ce moment, la porte de ma cellule s’ouvrit avec fracas et un enfant de huit ans traînant une petite chèvre entièrement noire entra, précédant une foule de gens, que je ne connaissais i>as. Parmi eux se trouvait mon défenseur. Il tenait une paire de bretelles qu’il fixait obstinément et ses lèvres remuaient prononçant des paroles que. je n’entendais point. «Bonjour, Papa» lit l’enfant et il poussa la chèvre sous le lit. L’un des hommes qui m’étaient inconnus s’approcha de moi et me dit : — Benjamin Péret, vous savez ce qui se passe. Moi Non. Lui Ecrivez ce que vous voudrez. M<1 Je n’ai pas à écrire. Lui Bien habillez-vous. NATUREMORTE: PAOLOET FRANCESCA Arp Je m’habillai, me rasai avec soin, décrochai par habitude mon ampoule électrique, lus quelques versets de la Bible et un chapitre des 11.000 vergeset annonçai que j’étais prêt. En route la conversation ne languit point. J’entretins mon défenseur de mes projets. Sitôt sorti de prison je comptai reprendre ma profession que je considérais comme la plus belle de toutes. Je me proposais de violer et d’assassiner ensuite avec des procédés de torture inédits, une jeune fille que j’avais ren contrée un jour sur la route d’Epinal et que j’avais suivie jusqu’à son domicile non sans lui déclarer qu’elle était la plus belle de toutes, et que si elle me laissait l’aimer je serais infiniment heureux. Elle sourit un peu et me donna un petit oiseau qui n’avait qu’une patte. Je le gardai longtemps. Il vivait dans la poche de mon veston ; tenez, là. Mon défenseur était un hommecharmant qui comprenait la vie et à mesure que je parlais je le sentais gagné à mes idées, à mesambitions. Tuer n’est-ce pas le plaisir le plus délicat qui soit donné à l’homme. — Tenez, lui disais-je, quand je me sens un poignard long et effilé en main et que ce poignard plonge dans la poitrine d’une fillette ou à travers la face d’un de ces hommes qui, le soir, en bras de chemise, lisent le journal à leur fenêtre. Je sentais que cette vie le tentait et il m’eût été agréable que cet homme qui m’avait défendu aux assises avec tant de talent continuât après moi l’oeuvre que j’avais entreprise : La généralisation du crime.Pour ce, je développais les arguments qui me semblaient les plus favorables à ma thèse, et quand nous arrivâmes dans la cour de la prison après un temps qui me parut, ou très court ou très long (il est si difficile d’apprécier le temps), il était tout disposé à assassiner un des personnages qui nous accompagnaient, afin disait-il, de nous enfuir à la faveur du désarroi que causerait son geste. Arrivé dans la cour de la prison, je vis la guillotine, et me trouvai sans transition aucune dans un état d’excitation sexuelle surprenant. Je crois que si j’en avais eu la possibilité, j’aurais pu aimer successivementune quinzaine de femmes. Néanmoins je me dominai et m’adressant à M. Deibler je lui demandai la permission de m’entretenir un instant avec le gardien-chef de la prison. Je dis à ce brave homme, combien j’étais attristé de le quitter et quel souvenir agréable je conservais des relations amicalesqui s’étaient