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CHRONIQUES

domaine des idées, de la morale enfin. La lâcheté qui règne dans le domaine de la morale est un sujet d’étonnement perpétuel pour moi, un sujet de dégoût tel que je n’arrive pas facilement à pardonner à qui que ce soit de porter des traits humains.

Il n’y a évidemment d’autre réalité que les images poétiques. Cette ville où je me meus, si mystérieusement d’ailleurs, est une image poétique, ce ciel, cette bouche de femme. Matière à poésie, voilà ce que les hommes appellent le monde, et ils y croient comme à une chose figée, comme si je n’étais pas libre d’en faire ce qui me plaît.

Il m’est impossible d’admettre une préoccupation quelconque de l’homme autre que la morale. J’ai besoin d’excuser ma présence sur la terre, je ne me supporte moi-même qu’au prix de cet abandon sans fin à l’idée morale. En dehors de ce parti que pour ma part j’ai définitivement adopté, je ne vois pas de solution.

MAXIMEALEXANDRE.

PÊCHERIEDE CÉTACÉS

PierreRoy

PROTESTATION

Il n’est pas admissiblequela penséesoit aux ordres del’argent. 11n’est pourtant pas d’annéequi n’apporte la soumissiond’un homme qu’on croyait irréductible aux puissancesauxquelles il s’opposait jusqu’alors. Peu importentlesindividusqui se résignentà cepoint à en passerpar les conditionssociales,l’idéedelaquelle ils se réclamaientavant une telle abdicationsubsiste en dehorsd’eux. C’est en ce sensque la participation despeintresMaxErnst et Joan Mirôau prochainspectacledesballetsrussesne sauraitimpliqueravecleleur le déclassementde l’idée surréaliste.Idée essentiellement subversivequi ne peut composeravec de semblablesentreprises, dontle but a toujoursété dedomestiquer au profit de l’aristocratie internationaleles rêves et les révoltesde la faminephysiqueet intellectuelle.

Il a pu semblerà Ernst et à Mirôque leur collaboration avecMonsieurdeDiaghilew,légitiméeparl’exemple de Picasso,ne tirait pas à si grave conséquence.Elle nous met pourtant,dans l’obligation,nous qui avons avant tout soucidemaintenirhorsdéportéedesnégriers de toutes sortes les positions avancéesdel’esprit,elle nous met dans l’obligationde dénoncer,sans considération de personnes,une attitude qui donnedesarmes aux pirespartisansdel’équivoquemorale. On sait que nous ne faisonsqu’un cas très relatif de nos affinitésartistiques avec tel ou tel. Qu’onnous fassel’honneurde croire qu’en mai 1926noussommes plus quejamaisincapablesd’y sacrifierle sensquenous avonsdela réalitérévolutionnaire. LouisARAGON

AndréBRETON.

Philippe Soupault : GEORGIA

Lepontqui passepar-dessusletempsestfait demille maçonneriesmurmurantes: poutres,ciments,poèmes, et vouscolèresbleues,le cielgrosde l’orage.Qu’est-ce que tu as fait sur la terre 1 ce n’est pas chrétiendele demander.Tu as tapé du pied. Il est sorti des fleurs, des siphons,des étincelles.Tu as tapé du pied. J’ai longuementpensé aujdébut de cette année scolairede 1925-20à un quatrain de GuillaumeApollinaire,et je vouspriede croirequeje ne faisni lelittéraire,ni l’érudit :

Bellesjournées,sourisdu temps

Vousrongezpeu à peu ma vie,

Dieu je vais avoirDingl-hu.ltans

Et mal vécusà mon envie.

Tristesvers qui vont quatre a quatre au tombeau gris des Heursséchées.Tristesvers d’un hommeque j’ai tant admiré,et qui n’était epicça, ma phrasemontre la poussière.Vingt-huitans,quatre foisl’âgederaison, vingt-huitans, deux et huit, deux foisquatre, 0 téléphone de la nostalgie. Qu’est-cecpii avait marqué précisémentcet âgedu doigt de la destinée,pour que celuiquidevaitmourirsouslepoidsdela Légiond’1lonneur, le choisitcommele plusindiquéentre tous pour à la fin du troisièmedes quatre vers péniblementalignésdonnerle tremblementà ceux qui commelui se tiendraientun instant à cette fuyante station du funiculairedesjours ?

Toujourscst-ilque c’est à l’automne 

dernier quand les garnementsavec les feuillesmortes retombentdes arbresdel’été danslespréauxfroidsdes collègesque j’ai, que nous avons,nous deux Philippe Soupault,atteint lesvingt-hultans dont parlele poète Presquetous anciensc’estpourtant aujourd’hui,a ce point de la réflexionterriblequ’on nommela vie, que paraissentles poèmesde Georgia,après tant d’années qui ont courbé le monde, après tant d’années qu’on a pensétout dire, et peut-êtrequ’on avait tout dit. Il a eu vingt ans, il ne les a plus. C’estune histoire assezbanale.PUqu’a-t -11doncfaitsurla terre? Pardon, j’oubliais.J’oublie.

Je me souviensdu jour, c’était pendant la guerre,a Paris, boulevardBerthicr,qu’AndréBretonlut devant moi,il faisaitgriset nousmarchions,les lettres de Jacques Vachéà un jeunehommequi disait de lui-même: Vousme reconnaître/,a mes cheveuxfrisés.J’ai vu depuisce tempsPhilippeSoupaulta biendeslumières. Et moi-mêmemescheveuxsont blancs.Ni deslivres, ni desparoles,rien ne nous a fait ce quenoussommes, maisceséclipses,cestremblementsdeterre,cequenous avons eu, ce qui nous a finalementéchappé.Je n’ai pas:aimétouslesromans de cetami,aveclequelaureste, j’ai, je crois, été fâchépendant des mois,des années. Je voisd’ici ce qu’il a bien souventpu penserde moi. Et puis qu’est-ceque vous voulez que ça foute? Le