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et la lune donnait, et la rosée tombait

La Femme se trouvait entre le père et la fille.

Tous trois marchaient sur trois rangs.

Tout à coup la promenade est interrompue par une volte-face de l’Anglais. Sa femme venait de soupirer.

« Pourquoi donc, madame, me lancer sur le dos une de ces émanations ridicules pour une femme de votre âge, parce qu’elles sont trop fréquentes. C’est sans doute la lune qui vous a envoyé celle-ci, ou le chant du rossignol qui casse nos têtes.

« — Il ne fallait point nous amener ici, répond la Française ; je ne demandais point à quitter ma chambre.

— Oui ; mais vous rongiez d’attention un volume de je ne sais quel poète, et alors j’ai pensé, j’espérais…

— Que voulez-vous ? qu’exigez-vous ? Avez-vous à vous plaindre de moi ?

— Non.

— N’ai-je pas (dit-elle en tremblant) rempli, jusqu’à ce jour, mes devoirs de mère et d’épouse ?

— Oui.

— Me voyez-vous contrariant vos intentions, vos désirs ?

— Non.

— Ne me suis-je pas quelquefois soumise à vos caprices ?

— Oui.

— Avez-vous quelque chose à redire sur mes parures de femme ?

— Non.

— Mon affection pour notre enfant n’est-elle pas bien tendre ?

— Oui.

— Me reprochez-vous de tenir trop souvent, par goût, une place dans un salon ?

— Non.

— N’avez-vous pas entendu dire que j’étais une bonne femme et une bonne mère ?

— Oui.

— Quand, malgré moi, la tristesse me gagne, en souffrez-vous positivement ?

— Non.

— Ne jouissez-vous pas ici, en France, de la lecture que je vous fais des journaux anglais ?

— Oui.

— Votre table est-elle négligée ?

— Non.

— Lorsque vous m’ordonnez presque de marcher, — je vais ; de rester, — je demeure ; de parler, — je cause. Enfin, lorsque vous m’enjoignez de venir, ne viens-je pas ?

— Oui.

— Alors, que me demandez-vous ? qu’exigez-vous ?

— L’Anglais s’approcha de la Française, et baissant la voix : « Au moins, madame, un peu d’amour. »

— Jamais vous n’en avez eu de moi, jamais vous n’en aurez !

L’Anglais allait répartir, quand sa fille, qui s’était arrêtée pour couper des tubes de jacinthes fleuries, accourut, légère comme une biche, et lui dit, en les fourrant sous son nez : « Tiens, papa, elles embaument. »

— L’Anglais, sans répondre, remonta au salon.

La mère et la fille suivirent.

L’Anglais embrassa son enfant, ne souffla mot à sa femme, prit une bougie et sortit.

Bientôt l’Enfant fut déshabillée, couchée et endormie : et il ne resta plus, debout, appuyée sur l’un des balcons de sa chambre éclairée par le jardin, que la Française qui pleurait. Quelques-unes de ses larmes se versèrent sur quelque chose de rond qui dépassait une fenêtre au-dessous d’elle.

C’était une tête de jeune homme.

Depuis plusieurs jours, ce jeune homme avait remarqué la Française, et tout son bonheur, sa joie, son délire, était aussi de croire qu’il occupait un peu l’esprit de cette femme qui parcourait les allées du jardin, — front baissé, bras pendants, démarche enfin de pensées rêveuses ; car cette femme levait quelquefois les yeux vers lui qui dévorait des siens le moindre geste, le moindre mouvement, le moindre pas.

La Française, qui se promenait rarement sans sa fille, peut-être à cause de l’Anglais, parut soupçonner que les remarques du jeune homme s’adressaient à l’Enfant.

Le Jeune homme, s’en trouvant profondément affecté, résolut d’agir de manière à prouver avec évidence à la Française qu’elle seule imprimait sur lui une émotion délicieuse.

Sans tarder, l’occasion se présenta. C’était une fois que la Mère, se séparant de l’Enfant pour rentrer, probablement sur un signe de l’Anglais, — c’était une fois, dis-je, que le jeune homme s’élança si fort au-devant de la Française qui passait vers sa fenêtre, qu’elle put croire qu’il allait en sortir. Mais il se contenta, avant que sa Dame n’eût clos la porte du jardin, de fermer avec bruit les neuf croisées de son appartement.

Depuis, la Française ne douta plus, et le Jeune homme fut heureux. Il eut l’air de regarder toujours un peu la Jeune fille pour que celle-ci, qui commençait à s’en apercevoir, n’abandonnât point sa mère dans ses promenades. C’était un remords pour le Jeune homme ; mais son amour pour la Française l’emporta sur ses scrupules.

Un soir, le ciel était nuageux et cuivré. Sept heures et demie sonnaient lorsque le Jeune homme, ne voyant au jardin ni Mère, ni Fille, se disposait à aller rêver en plein air, quand tout à coup paraît, sur le grand escalier, la Française qui descendait seule. Elle fit un temps d’arrêt, laissa rentrer le Jeune homme qui avait oublié ses gants, et continua sa direction au jardin.