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LA QUESTION DE L’ANALYSE
PAR LES NON-MÉDECINS[1].


Si je veux me faire comprendre, il me faut maintenant vous communiquer quelques fragments d’une doctrine psychologique qui, hors les cercles analytiques, n’est pas connue ou pas estimée. De cette théorie découlera aisément et ce que nous attendons du malade et par quels chemins nous parvenons à notre but. Je vais vous l’exposer dogmatiquement, comme si elle était déjà un système achevé. Mais n’allez pas croire qu’elle soit née ainsi tout équipée, comme il advient aux systèmes philosophiques. Nous l’avons développée lentement, peu à peu, nous en avons dû conquérir péniblement chaque parcelle ; nous n’avons cessé de la modifier au contact constant de l’observation jusqu’à ce qu’elle ait enfin acquis la forme sous laquelle elle nous paraît suffire à nos desseins. J’aurais dû, voici peu d’années, exprimer cette doctrine en d’autres termes. Je ne puis, bien entendu, vous affirmer que l’expression formelle de la doctrine à l’heure qu’il est en demeurera définitive. Vous le savez, la science n’est pas une révélation, il lui manque, longtemps encore après ses débuts, la certitude, l’immutabilité, l’infaillibilité, dont la pensée humaine est si avide. Mais telle qu’elle est, elle est pourtant tout ce que nous pouvons avoir. N’oubliez pas que notre science est très jeune — à peine aussi vieille que le siècle ! — et qu’elle travaille avec la matière peut-être la plus ardue qui puisse s’offrir à l’investigation humaine : ainsi vous pourrez vous mettre dans l’état d’esprit nécessaire à la compréhension de ce que je vais vous dire. Cependant interrompez-moi chaque fois que vous ne pourrez me suivre ou que vous désirerez de plus amples éclaircissements.

« Je vous interromps avant même que vous ne commenciez. Vous dites vouloir m’exposer une nouvelle psychologie, mais il me semble que la psychologie n’est pas une science nouvelle. Il y en a assez, de psychologie et de psychologues, et j’ai entendu dire pendant mes études que de grandes choses dans ce domaine ont déjà été accomplies. »

Et je n’entends pas discuter leur valeur. Mais y regardez-vous de plus près, vous serez contraint d’attribuer ces grands accomplissements plutôt à la physiologie des sensations. Car la science de la vie psychique ne pouvait se développer, entravée qu’elle était par une seule mais essentielle méconnaissance. Qu’embrasse-t-elle aujourd’hui, telle que l’enseigne l’Ecole ? En dehors de ces très intéressants points de vue physiologiques sur les sensations, rien qu’une liste de divisions et de définitions de ce qui se passe dans notre âme, divisions et définitions qui, grâce au langage usuel, sont devenues le bien commun de tous les lettrés. Cela ne suffit évidemment pas pour comprendre notre vie psychique. Avez-vous remarqué que chaque philosophe, écrivain, historien ou biographe s’arrange une psychologie à lui, nous propose ses hypothèses à lui sur les rapports et le but des actes psychiques, hypothèses plus ou moins séduisantes mais toutes également douteuses ? On manque évidemment ici d’une base commune. De là découle aussi qu’en psychologie on soit si irrespectueux et qu’on ne reconnaisse aucune autorité. Chacun peut ici « braconner » à son aise. Mettez-vous une question de physique ou de chimie sur le tapis, tout le monde se taira qui ne se sait pas en possession de « connaissances techniques ». Mais avancez-vous une assertion psychologique, préparez-vous à être jugé et contredit par n’importe qui. Sans doute n’y a-t-il pas dans ce domaine de « connaissances techniques ». Chacun a donc sa vie psychique, et c’est pourquoi chacun se tient pour un psychologue. Mais cela ne me semble pas un titre suffisant. On raconte qu’une personne se présente un jour comme « bonne d’enfants » ; on lui demande si elle s’entend à élever les enfants. Bien sûr, répond-elle, puisque j’ai été moi-même en mon temps petite enfant.

« Et vous prétendez avoir découvert cette « base commune » de la vie de l’âme, qui échappa à tous les psychologues, en observant des malades ? »

Je ne crois pas que cette origine ôte de leur valeur à nos constatations. L’embryologie, par exemple, ne mériterait aucun crédit, si elle ne pouvait sans peine éclairer l’étiologie des malformations de naissance. Mais je vous ai donc parlé de gens dont les pensées marchent toutes seules, de telle sorte qu’ils se voient contraints à ruminer sans fin des problèmes qui leur sont terriblement indifférents. Pensez-vous que la psychologie d’école ait jamais fourni le moindre apport à l’éclaircissement d’une semblable anomalie ? Et enfin il nous arrive à tous que notre pensée, pendant la nuit, suive ses propres voies et crée des choses qu’ensuite nous ne comprenons pas, qui nous semblent étranges et douées d’une ressemblance suspecte avec certaines productions pathologiques. Je veux parler de nos rêves. Le peuple n’a jamais abandonné cette croyance que les rêves aient un sens,

  1. Extrait d’un livre à paraître sous ce titre à la N. R. F. (Traduction Marie Bonaparte).