dire et ce n’est qu’à la rigueur un chapeau. Un chapeau n’est pas l’enveloppe définitive d’une tête. Pour me faire plus sinistre, j’ajouterai qu’une tête ne tient aux épaules que par le retrait du couteau de la guillotine. La guillotine elle-même, puisque je ne l’ai jamais vue, n’a peut-être jamais fonctionné. Je connais deux sortes de peintres : ceux qui croient et ceux qui ne croient pas à la peau. Je tiens de Derain que c’eut été pour lui un mensonge que de peindre une femme « sans nichons et sans fesses ». Fort heureusement, pour Max Ernst à la même époque il y allait, en fait d’honnêteté, de la solution d’un problème tout différent.
Vestibule pour vestibule, je n’oublierai jamais qu’il me fit part, au temps déjà lointain de notre rencontre, de la certitude où il était d’avoir vu, sans que quiconque y fût extérieurement pour rien, un pardessus ou un chapeau quitter un porte-manteau pour un autre, situé à plus d’un mètre de distance. La scène se passait, je crois, à Cologne et, dans les conditions où nous avons essayé, de la faire se reproduire, nous n’avons pas obtenu de résultat. Il n’en pas moins vrai que Max Ernst, en cette occasion, bien plus que de l’authenticité de certains phénomènes de lévitation, témoignait de l’impossibilité pour lui d’accrocher quoi que ce soit à une place fixe et d’admettre qu’un personnage qu’il peint, même à supposer qu’il s’en défasse comme on se défait d’un vêtement, pût demeurer où il l’avait mis, ne pas descendre de son cadre et le réintégrer au fur et à mesure des besoins du drame que nous nous jouons.
Le lyrisme, par quoi se recommande toute œuvre que nous admirons, n’est pas, dans sa nature, une propriété indéfinissable et si la critique évite de pousser jusqu’à lui ses petites investigations coutumières, ce n’est pas crainte de profaner ce qui nous va droit au cœur ; c’est pure et simple insuffisance, naturellement. Il y a sept ou huit ans, on se répandait volontiers, dans ce pseudo-laboratoire où se trouvaient quelques-uns des hommes qui se sont, depuis lors, le plus perdus, en propos passablement inconsidérés sur ce thème. Je démêle, à travers ce qui ne m’échappe pas encore tout à fait de ces propos, une poignante concordance chez plusieurs à vouloir saisir les rêves de ce cheval emporté, ne serait-ce que pour faire qu’à nouveau il s’emporte. On interrogeait Picasso, Chirico comme on interrogeait Rimbaud, c’était à qui se fût jeté à la tête du cheval qui allait si vite. On interrogeait aussi Derain, qui se vantait de l’avoir dompté et qui le montrait, ce cheval, l’œil au ciel, piétinant de son sabot encore plein d’étincelles, la terre. C’était le lyrisme. Quelque chose de dressable et que d’aucuns disaient même avoir dressé. Des recettes, variant selon le mode d’expression auquel on se proposait de faire appel, glissaient de tiroir à tiroir dans l’affreuse cuisine, comme des oiseaux qui épient le garde-manger. Il subsiste de cette époque, sous forme de conseils pratiques et irritants, mille et un moyens d’accommoder au goût le plus élevé du jour et selon les ressorts appropriés de la surprise, de la faiblesse si souvent victorieuse de la force, du rapt des mots si vieux qu’ils peuvent seuls rajeunir, du jeu prismatique des lumières et des ombres, du caché pour de bon et du découvert pour rire, de la déconsidération du moderne par l’ancien et de l’ancien par l’oubli du moderne comme de l’ancien, de la dialectique enragée qui rend l’odeur de l’épine pour la piqûre de la rose, il subsiste quelques témoignages hagards, ne serait-ce qu’au mur de l’atelier de Picasso, ce chromo dont Seurat semble s’être si moqueusement, si littéralement inspiré pour peindre « Le Cirque » (c’est à se demander si ce qu’il passe pour avoir réalisé techniquement dans le domaine de la « composition » est vraiment significatif), des appels qui se gardent d’être des cris et quelques tentantes serrures sans clé.
Quand Max Ernst vint, ces différentes données étaient outrageusement simplifiées. Il apportait avec lui les morceaux irreconstituables du labyrinthe. C’était comme le jeu de patience de la création : toutes les pièces, invraisemblablement distraites les unes des autres, ne se connaissant plus aucune aimantation particulière les unes pour les autres, cherchaient à se découvrir de nouvelles affinités. Une pluie diluviale, douce et certaine comme le crépuscule, commençait à tomber. À l’emploi de plus en plus parcimonieux des mots, alors qu’on niait la couleur pour ne plus reconnaître que deux tons : le froid et le chaud, qu’il était question de ne plus s’entendre que sur ce que veulent dire : fenêtre, chemin, ciel, reliés tout au plus par une sorte d’écran, comme au cinéma, Max Ernst opposait un vocabulaire étendu vraiment à tous les mots, quitte à se passer de la signification de plusieurs d’entre eux et, scandale, de ce qui leur confère une valeur plus ou moins émotive. C’en était à peu près fini de la pipe, du journal qui n’est pas même celui de demain, de la guitare. On sait comment il procédait. De ce fameux amour de Rimbaud pour les dessus de portes, les refrains niais, les révolutions de mœurs, de ce goût systématique qu’on suppose avoir été celui de Ducasse pour une sorte de fossé spirituel s’étendant de Young à certains rapports médicaux, des connaissances insultantes de Jarry en héraldique, et même de l’inspiration cherchée par Apollinaire dans les catalogues, Max Ernst semble bien avoir hérité le sens de