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mieux et moins bien

des de méthode permettent encore de les rapprocher. Sans en venir aux tableaux synoptiques c’est de la vie comparée des grands hommes, de la comparaison de leurs écrits que Seillière tire le principe de ses généralisations. Apollinien, il dirige sa critique contre les mysticismes, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas tempérés par la raison. De ces principes apparemment opposés résultent objectivement des conclusions semblables : même dédain de Rousseau, même jugement de la révolution, même apologie de l’impérialisme, même légitimation du colonialisme, même programme à peu près que Seillière définit : la réalisation graduelle d’un Socialisme rationnel. « Je ne m’arrêterai pas à parler « de Karl Marx dont l’œuvre théorique entière repose sur un postulat mystique : « celui de l’égalité actuelle ou très prochaine entre la productivité de tous les travailleurs humains. Une heure d’un homme vaut une heure d’un autre homme, disait-il déjà dans Misère de la Philosophie, et tous les calculs algébriques de son Capital sont fondés sur la même hypothèse qu’on ne saurait assurément justifier par des faits. Aux excès du mysticisme social qui, autour de nous, s’insinue peu à peu dans les mœurs et jusque dans les législations, y sapant les liens de famille, y relâchant sans cesse davantage les ressorts de la responsabilité individuelle, j’estime qu’on peut opposer encore avec efficacité les enseignements de l’Economie politique dite classique — si toutefois l’on évite de regarder ses principes comme intangibles… »

(Ernest Seillière. Vers le Socialisme rationnel, Félix Alcan, 1923).

Nous ne pousserons pas plus loin ce parallèle. Mais l’identité pratique de deux démarches dissemblables originellement est fait pour donner à penser qu’un substrat commun à ces deux esprits opposés unit Spengler à Seillière, et tous deux aux universitaires qui encrassent pour l’instant ce microscope. C’est toujours en face des problèmes de classe que leurs différences s’évanouissent. Ce substrat commun c’est l’esprit de classe. Et qu’est-ce d’ailleurs que la culture occidentale, sinon une culture de classe ? Culture, qui, comme le disait Marx, se réduit pour le plus grand nombre à l’apprentissage d’un métier de machine. Oui elle est sur son déclin. Mais le déclin de l’Occident c’est le déclin de la bourgeoisie. Avec elle disparaîtra sa culture, essai moderne de déification d’une entité, qui ira rejoindre les autres saint-sulpiceries aux moyens desquelles on cherche à détourner le prolétariat de sa destinée, à endiguer le devenir au nom du devenir lui-même, et des sanctuaires brisés aucun Dieu nouveau, sur les vieilles croix, les idéologies crevées, ne repoussera plus jamais sous les orties vigoureuses de l’histoire.

Aragon.



MIEUX ET MOINS BIEN

Le Surréalisme est encore un acteur sans voix. Cependant, sa grande ombre ne cesse pas d’exister, et son existence propre sera toujours pour nous la commune mesure où se réduiront d’autres désirs.

C’est ainsi qu’une pensée que l’on appelle marxiste, et une action que l’on appelle bolcheviste, sont assez soudainement tombées dans les limites de cette ombre. Quelles que soient les facilités de compréhension qui aient été offertes à ce sujet[1] le public semble toujours ignorer le sens et les limites réelles du débat. Je pense du reste que les déductions n’ont plus de rôle utile à jouer. Mais si l’on écarte les questions de détail, les difficultés personnelles, les incompatibilités d’humeur et de capacités qui ne manquent pas entre les individus et qui s’aggravent entre les groupements, on constate qu’une mentalité générale dont dérivent beaucoup de nos actions, reste à définir actuellement, quitte à changer rapidement, et du tout au tout.

…Malgré les rôles divers attribués successivement aux personnes et malgré la façon remarquable dont plusieurs personnes s’acquittent de ces rôles, communistes, surréalistes, révolutionnaires et disons les amis de la liberté, je n’aurais pas la faculté nécessaire pour répondre à leur espoir si je n’envisageais radicalement en dehors d’eux cela même qui nous soutient communément. Je ne parle pas du mépris des individus ; je souhaite seulement que les vicissitudes qui les égarent ou les conduisent ne les mènent pas trop loin de ce qui constitue notre souci, et je n’ai pour cela aucune confiance dans la personne. C’est aussi bien à moi au’à tel autre à m’immiscer dans des discussions ou se révèlent la platitude, eu la gaucherie, ou l’égoïsme, ou la mauvaise foi, ou la fantaisie, ou la politique, de certains indivi-

  1. Cf. La Révolution et les Intellectuels (1926), Légitime défense, par A. Breton (1926), Au grand Jour (1927),