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HANDS OFF LOVE

À moins qu’elle n’ait songé que le seul moyen de devenir la femme de Charlie Chaplin était d’abord de coucher avec lui puis… mais alors ne parlons plus de séduction, il s’agit d’une affaire, avec ses divers aléas, l’abandon possible, la grossesse.

C’est alors que sollicitée de passer par une opération qu’elle qualifie de criminelle, la malheureuse enceinte au moment du mariage s’y refuse pour des raisons qui valent l’examen. Elle se plaint que son état soit public, que son fiancé ait tout fait pour le rendre tel. Contradiction évidente : qui a intérêt à cette publicité, qui se refuse au seul moyen d’empêcher ce qui est un scandale en Californie ? Mais maintenant la victime est bien armée, elle pourra répéter, publier qu’on a voulu qu’elle se fasse avorter. Voilà un argument décisif, et pas une parole du criminel ayant trait à cet acte qui est une grande faute sociale, légale et morale et par là-même répugnante, horrifiante et contraire aux instincts de mère (de la plaignante) et à son sens du devoir maternel de protection et de préservation, pas un mot de Charlie Chaplin ne sera oublié. Tout est noté, les phrases avec leur caractère familier, les circonstances, parfois la date ; à partir du jour où la future Madame Chaplin a songé pour la première fois à se prévaloir de ses instincts, à se poser en monument de normalité, la voilà, bien que tant qu’elle n’a pas été légalement mariée elle ait continué, elle le souligne, à aimer son fiancé, malgré ses horrifiques propositions, la voilà changée en un espion intime, elle a vraiment son journal de martyre, elle tient le compte exact de ses larmes. Le troisième grief qu’elle fait à son mari s’appliquerait-il à elle au premier chef ? Est-elle entrée dans le mariage avec la ferme intention d’en sortir, mais riche, et considérée ? En quatrième lieu le traitement subi pendant le mariage par Mme Chaplin, si on l’envisage dans tous ses détails, est-il le fruit d’une tentative de démoralisation de la part de Charlie Chaplin ou est-il la suite naturelle de l’attitude quotidienne d’une femme qui collectionne les griefs, les suscite et s’en réjouit ? Notons en passant une lacune : Mme Chaplin omet de nous donner la date à laquelle elle a cessé d’aimer son mari. Mais peut-être l’aime-t-elle encore.

À l’appui de ses dires elle rapporte comme autant de preuves morales de l’existence du plan exposé dans le reste de la plainte des propos de Charlie Chaplin, après lesquels un honnête juge américain n’a plus à considérer le défendeur comme un homme, mais comme un sacripant et un Vilain Monsieur. La perfidie de cette manœuvre, son efficacité n’échapperont à personne. Voilà que les idées de Charlot, comme on dit en France, sur les sujets les plus brûlants nous sont tout à coup données, et d’une façon très directe qui ne peut manquer d’éclairer d’un jour singulier la moralité de ces films auxquels nous avons pris plus d’un plaisir, un intérêt presque sans égal. Un rapport tendancieux, et surtout dans l’état d’étroite surveillance où le public américain entend tenir ses favoris, peut, nous l’avons vu avec l’exemple de Fatty Arbuckle, ruiner un homme du jour au lendemain. Notre bonne épouse a joué cette carte : il arrive que ses révélations ont ailleurs un prix qu’elle ne soupçonnait pas. Elle croyait dénoncer son mari, la stupide, la vache. Elle nous apporte simplement le témoignage de la grandeur humaine d’un esprit, qui pensant avec clarté, avec justesse, tant de choses mortelles dans la société où tout, sa vie et jusqu’à son génie le confinent, a trouvé le moyen de donner à sa pensée une expression parfaite, et vivante, sans trahison à cette pensée, une expression dont l’humour et la force, dont la poésie en un mot prend tout à coup sous nos yeux un immense recul à la lueur de la petite lampe bourgeoise qu’agite au-dessus de lui une de ces garces dont on fait dans tous les pays les bonnes mères, les bonnes sœurs, les bonnes femmes, ces pestes, ces parasites de tous les sentiments et tous les amours.

Attendu que pendant la cohabitation de la plaignante et du défendeur, le défendeur a déclaré à la plaignante en des occasions trop nombreuses pour qu’on puisse les spécifier avec plus de détails minutieux et de certitude, qu’il n’était pas partisan de la coutume