Page:La Retraite de Laguna (Plon 1891).djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’attachèrent à en rejoindre les maîtres attardés, comme beaucoup l’étaient, par les objets les plus précieux de leurs charges, qu’ils n’avaient pu se résoudre à abandonner. Ils furent poursuivis impitoyablement, tandis qu’un peu de résolution les aurait mis sous notre sauvegarde. Quand nous arrivâmes au Canindé, il n’y existait plus que des débris de toute sorte, des restes de pillage semés de côté et d’autre le long de la route, quelques tas rebutants de farine et de riz amalgamés par la pluie battante, au milieu des flaques d’eau du sol.

On n’aurait certainement pas imaginé que ces affreux monceaux de comestibles, à peine reconnaissables, eussent pu être l’objet d’une collision sérieuse, presque d’une émeute ; mais tel est l’empire de l’organisme souffrant, tel était le cri de ces estomacs depuis si longtemps privés de nourriture, que des soldats se mirent à s’en repaître avec l’avidité de bêtes féroces qui dévorent une proie. Tous voulurent y courir : les rangs furent rompus dans un tumulte inexprimable, au milieu d’un mélange assourdissant de plaintes, de menaces, de vociférations et de rires idiots, à la vue d’une curée où