Page:La Revue, volume 56, 1905.djvu/243

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Ils comprirent ma plaisanterie et sourirent ; seule, ma femme n’avait pas levé sa tête baissée ; elle essuyait les tasses avec les essuie-mains propres, aux bouts brodés. Dans le cabinet je revis de nouveau : les papiers bleus, la lampe à l’abat-jour vert et la petite carafe remplie d’eau y était posée. Et elle était couverte d’une fine couche de poussière.

— Versez-moi à boire de cette carafe, commandai-je gaîment.

— Tu viens de prendre le thé.

— Ça ne fait rien. Versez toujours. Et toi, dis-je à ma femme, prends l’enfant et va le mettre dans la chambre d’à côté. Je t’en prie.

Et je buvais l’eau à petites gorgées, avec délice, et dans la chambre d’à côté se trouvaient ma femme et mon fils et je ne les voyais pas.

— C’est bien, maintenant, venez ici. Mais pourquoi n’est-il pas encore couché ? Il est tard.

— Il est content de te revoir. Chéri, va chez le père.

Mais l’enfant se mit à pleurer et se réfugia.

— Pourquoi pleure-t-il ? demandai-je tout étonné, et je regardai autour de moi. — Et pourquoi êtes-vous tous si pâles et pourquoi vous taisez-vous et me suivez-vous comme des ombres ?

Mon frère rit bruyamment et dit :

— Nous ne nous taisons pas.

Et ma sœur insista :

— Nous ne faisons que parler.

— J’irai voir où en est le souper, dit la mère, et elle sortit en hâte.

— Oui, vous vous taisez, répétai-je avec une fermeté inattendue. Depuis le matin, je n’entends pas une seule parole venant de vous ; seul je bavarde, je ris, je suis content. N’êtes-vous pas contents de m’avoir avec vous ? Et pourquoi évitez-vous tous de me regarder ? Suis-je tellement changé ? Oui, je suis changé. Je ne vois pas de glace. Les avez-vous enlevées ? Apportez-moi une glace.

— Je vais en apporter une, répondit ma femme, et elle sortit, et elle tardait de revenir et ce fut la servante qui apporta la glace. Je m’y mirai, et — je m’étais déjà vu à la gare, dans le wagon — c’était le même visage un peu vieilli, mais le plus habituel. Et ils paraissaient s’attendre à me voir pousser un cri et m’évanouir ; aussi se réjouirent-ils quand je leur dis avec calme :

— Qu’y a-t-il d’extraordinaire ?

Tout en riant de plus en plus fort, ma sœur sortit en hâte et mon frère dit avec calme et assurance :