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Page:La Revue Félibréenne, tome 8, 1892.djvu/55

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— » Dis, voudrais-tu pas retourner sur terre ?
— » Non, car le bas monde a trop de misère.
— » Eh quoi ? ton départ n’eut point de douleur,
» Mon doux chérubin ?… — Si ! j’ai mal au cœur :
» Je laisse une mère adorable et belle…
» Ah ! je vais pleurer bien longtemps sur elle !… »

À ces tristes mots, de son œil voilé
Une chaude larme a soudain coulé.
Ce pleur d’un enfant qui devient un ange
En fleur de muguet aussitôt se change.

Du ciel, depuis lors, tous pleurs sont bannis,
Et plus rien ne manque au saint paradis.


Il y a bien du charme dans cette mystique bluette, abstraction faite des pauvretés d’une interprétation française qui implore l’indulgence du lecteur. Ce n’est qu’une enluminure, mais dont la prisée monte aussi haut que celle d’un riche tableau, une simple ballade qui vaut un poème ; et si nous cherchions dans notre littérature le sujet de comparaison qui en approche le mieux, nous ne pourrions citer que la séraphique Eloa, ange et femme tout ensemble, qu’Alfred de Vigny fait naître d’une larme tombée des yeux du Christ.

Est-ce un tort de prétendre que la poésie n’est pas incompatible avec le soin des affaires d’État, et que celles-ci ne peuvent au contraire que gagner, entre les mains qui les régissent, à la culture simultanée d’un art qui persuade, séduit et n’exclut personne de sa sphère d’attraction ? Elle n’est donc pas futile autant qu’on s’est plu à le dire, cette langue des pensées choisies, exprimées en beaux vers ! Elle enflamme les courages en temps de guerre et de lutte patriotique, et, pareillement, elle peut être un instrument de conciliation et de relations courtoises dans les loisirs de la paix. Elle sera encore, n’en doutons pas, le puissant moyen de diffusion d’une idée qui fait son chemin, depuis que certaines sociétés d’Études s’efforcent de la promouvoir, tandis qu’en même temps nos trouvères méridionaux la chantent et la propagent. Or, cette conception n’est pas née, comme on a paru le croire, du caprice des imaginations ; le désir qu’elle exprime est fondé, car il répond au besoin de plusieurs nationalités troubles dans leur quiétude et menacées dans leur équilibre ; la portée en est haute, comme les résultats promettent d’en être féconds, car cette idée ne tend à rien moins qu’à une puissante fédération des pays latins.

Léonce Cazaubon.