— Et le goulot ? demande Vendredeuil.
— Et nous n’avons pas d’eau non plus.
— On la boira à poil.
— Mais oui, à poil, appuie le gendarme. Qui est-ce qui commence ? Moi, si vous voulez.
On se passe la bouteille de main en main. C’est de l’excellent Pernod. Comme il y en a plus d’une chopine, il faut faire deux tournées. Vendredeuil avale l’avant-derniére ration, et éclate de rire en faisant claquer ses mains sur les sacoches de sa selle.
— Chouette, papa, maman est pleine !
Et le brigadier, qui a vidé la bouteille, la lance contre une roche en criant :
— Y aura des petits cochons cette année !
Nous sommes un peu gris. Le soleil est déjà très haut et la chaleur est grande. La tête lourde, je glisse tout doucement, à travers un tourbillonnement d’idées confuses, à une contemplation spirituelle, béate et idiote, des scènes de la veille et du matin ; je ferme les yeux pour laisser défiler des tableaux, rapides et trop complets, donnant à chacun des acteurs son attitude d’un instant, détaillant les postures de l’un, les gestes de l’autre, les agitant comme des pantins. Des pantins, oui ; pourtant, ça vit, — ça meurt.