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Page:La Revue Indépendante, tome 1 - mai à octobre 1884.djvu/90

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LA REVUE INDÉPENDANTE

met de séparer l’homme des animaux et d’ajouter aux trois « règnes de la nature » un règne hominal ; selon ces messieurs, le penseur qui est parvenu à se dégager absolument de toute aspiration vers un idéal métaphysique serait donc moins élevé dans l’échelle des êtres que les lecteurs du « Pèlerin » ou les naturels de Fidji et de la Nouvelle-Zélande qui prosternent le bronze de leur peau devant des bûches sculptées.

Toute la première période de la vie humaine est pétrie par la main des religiosâtres. On charge l’enfant d’un pesant bagage d’idées anti-scientifiques ; on lui fausse le jugement en lui montrant partout non pas la logique naturelle des choses, mais l’arbitraire le plus anarchique ; au lieu de dissiper devant ses yeux interrogateurs le mystère des phénomènes naturels, on le lance dans l’irréel ; pour ne pas altérer sa blancheur, on lui cache la vie ; il grandit dans une atmosphère de mensonge et de réticences. Sur les bancs universitaires, on lui enseigne d’une part — et avec quelle timidité ! — les sciences expérimentales, d’autre part la philosophie et la morale, mais sans même lui faire pressentir que ces deux enseignements doivent être corrélatifs…

Le fils même d’un athée est élevé dans le respect des religions, contaminé de mysticisme. Le père assiste à cet attentat, très calme, — sachant que bientôt son fils oubliera ces leçons-là. Soit, il les oubliera ; il croira, du moins, les avoir oubliées : mais il aura été abêti par le dogme ; sa pensée restera titubante ; habitué à se courber devant l’autorité saugrenue d’un dieu imaginaire, il n’aura plus la notion de la majesté