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Page:La Revue belge, année 4, n° 80, 15 août 1891 (extrait Lamento).djvu/3

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Si tu l’avais voulu, comme un luth enchanté,
Sous tes doigts caressants mon amour eût chanté.
Quand la jeune espérance au fond du cœur expire,
Sur le bonheur détruit quand l regret soupire,
Si tu l’avais voulu, comme un luth enchanté,
Sous tes doigts caressants mon amour eût chanté.

Sa voix, écho profond de la grande harmonie,
Eût de ton cœur mourant conjuré l’agonie.
Ainsi que la nourrice avec un doux refrain
Endort le nourrisson que la douleur étreint.
Sa voix, écho profond de la grande harmonie,
Eût de ton cœur mourant conjuré l’agonie.

Mais un jour que j’errais sur mon triste chemin,
Le luth aux chants si doux est tombé de ma main ;
Le char de la Fortune, en passant dans l’orage,
Du sonore instrument a fracassé l’ouvrage ;
Car tu n’étais pas là, lorsque sur mon chemin
Le luth aux chants si doux est tombé de ma main.

Tu l’aurais pu soustraire à la roue odieuse ;
Mais la roue a vaincu la voix mélodieuse.
Sur ses débris muets tes pleurs sont superflus :
Le luth aux chants si doux tu ne l’entendras plus.
Tu ne l’as pas pu soustrait à la roue odieuse ;
Et la roue a vaincu la voix mélodieuse.

Si tu l’avais voulu, mon amour, pur flambeau,
Mon amour eût guidé tes pas jusqu’au tombeau.
Dans ce dédale humain plein de sourdes colères.
Comme une lampe aux pieds des autels tutélaires,
Si tu l’avais voulu, mon amour, pur flambeau,
Mon amour eût guidé tes pas, jusqu’au tombeau.

Mais tu n’as pas voulu de ton urne orgueilleuse
Epancher un peu d’huile à ma pauvre veilleuse.
Tu dors : voici venir les clartés du matin ;
Le vent ouvre ma porte et la flamme s’éteint ;
Car tu n’as pas voulu de ton urne orgueilleuse
Epancher un peu d’huile à ma pauvre veilleuse.

Si tu l’avais voulu, mon amour de vingt ans
Aurait comme un rosier embaumé ton printemps.
Dans cet égout fangeux qu’on appelle le monde,
Dans ce cloaque obscur plein d’une odeur immonde,
Si tu l’avais voulu, mon amour de vingt ans
Aurait comme un rosier embaumé ton printemps.

Sa racine, en plongeant dans la triste matière,
Eût pompé le secret qui dort au cimetière ;
Sa fleur eût évoqué de set larges parfums
Au fond de ion cerveau les paradis défunts.
L’amour seul peut dompter l’inflexible matière,
Et pomper le secret qui dort au cimetière.

Ayez soin du rosier, quand ses rameaux sont verts ;
Car après le printemps arrivent les hivers !
Il n’est rien d’aussi doux, quand le cœur est morose,
A respirer le soir que le parfum de la rose.
Ayez soin du rosier, quand ses rameaux sont verts ;
Car après le printemps arrivent les hivers !

Un jour, dans mon rosier s’est glissé le reptile ;
Maintenant il décroît comme une herbe inutile ;
La rose est passagère, et pour sa floraison
Il n’est dans l’occident qu’une seule saison.
Un jour, dans mon rosier s’est glissé le reptile ;
Maintenant il décroît comme une herbe inutile ;

Soin embaumés de rose au coin du feu passés,
Dîtes, vous connaît-on parmi les trépassés ?
Un tronc flétri qui meurt, une feuille qui tombe,
Peuvent-ils refleurir au-delà de la tombe ?
Soin embaumés de rose au coin du feu passés,
Dîtes, vous connaît-on parmi les trépassés ?