Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/331

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exactement comme Pierre est différent de Paul. La personnalité de Pierre ne réside pas seulement dans tel assemblage de muscles, d’os, d’épithéliums, etc., elle est représentée dans chaque élément de ses tissus. Les divers tissus ne sont pas des éléments de natures différentes communs à tous les individus d’une espèce ; ce sont des modalités diverses d’un élément unique qui détermine la personnalité de l’individu considéré. Voilà ce que l’histologie ne pouvait pas nous faire prévoir et ce qui ressort d’une étude logique de l’hérédité et de l’individualité[1].

Ainsi, la citation de M. Grasset indique uniquement comment j’ai posé le problème et laisse supposer que je l’ai résolu dans le sens vitaliste. C’est, je le répète, de bonne polémique. Je ne veux d’ailleurs pas m’étendre sur cette question ; c’est par hasard et en étudiant les phénomènes d’hérédité des caractères acquis que j’ai été amené à constater l’unité cachée sous l’hétérogénéité apparente de l’être vivant ; mais je crois que, pour un esprit libéré d’idées préconçues, cette unité de structure n’était pas indispensable à la compréhension de l’unité de fonctionnement : une machine peut avoir des rouages de fer et des bielles de bois. Néanmoins cette unité imprévue rend plus certaine l’interprétation synthétique du mécanisme humain et il est plaisant que, de tout un livre destiné à l’établir, M. Grasset tire seulement trois lignes dont le sens paraît être en faveur de l’hétérogénéité !

D’un grand nombre de citations, empruntées à divers auteurs et parmi lesquelles j’ai signalé la précédente parce quelle m’intéressait plus directement, le professeur de Montpellier conclut (p. 22) :

Donc, la biologie ne doit pas être identifiée aux sciences physicochimiques.

Je suis arrivé à une conclusion diamétralement opposée, mais je ne veux pas reprendre ici cette question que j’ai longuement développée dans plusieurs livres. Il me semble d’ailleurs que l’opinion de M. Grasset n’est pas aussi solidement étayée qu’il veut bien le dire ; voici, en effet, comment il termine son chapitre II :

Je crois fermement que la biologie est et restera une science séparée, distincte, irréductible à la science physicochimique.

Cependant, je dois ajouter que la limite qui sépare ces deux sciences est bien moins radicale, absolue et définitive que les suivantes.

On ne peut pas dire qu’il soit antirationnel de supposer qu’un jour on trouvera le moyen de passer d’un corps brut à un corps vivant et par suite d’unifier ces deux sciences. Je ne crois pas que cela arrive ; mais je reconnais que cela peut arriver (p. 22).

C’était bien la peine de tant batailler pour faire ensuite cette concession ! M. Grasset croit fermement que la biologie est et restera une science séparée ; M. Le Dantec croit fermement que  la biologie est une partie de la physicochimie ; ce sont là des croyances personnelles et qui proviennent d’un état particulier du cerveau ; elles seront acceptées ou

  1. L’Unité dans l’Être vivant, Paris, 1902 ; p. 159.