Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/173

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chose. Il n’en est déjà plus tout à fait de même quand il s’agit de l’étude d’un cristal ; là, le renseignement chimique peut nous faire préjuger de la forme architecturale du corps ; en léchant, les yeux fermés, un cristal d’alun, nous pouvons deviner son aspect visuel. Il est vrai que nous pouvons nous tromper ; l’alun peut ne pas être cristallisé ; mais l’étude visuelle peut aussi nous tromper en sens inverse ; on peut avoir coulé une substance fusible dans un moule ressemblant à un cristal d’alun, et, à l’œil, nous prendrons pour de l’alun ce qui n’en sera qu’une pseudomorphose.

Cette remarque nous amène à étudier la possibilité d’un parallèle entre les divers renseignements que nous recueillons sur un corps donné au moyen de nos différents organes des sens.


Quand le corps à étudier est un corps brut, sauf le cas spécial de l’état cristallin, sa forme visuelle est sans relation aucune avec sa nature chimique ; on peut tailler un morceau de sucre comme l’on veut. Il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’un corps vivant : quand nous voyons un chou ou une carotte, nous savons que la substance qui les constitue est de la substance de chou ou de la substance de carotte ; réciproquement, un botaniste exercé peut, dans l’obscurité, reconnaître une plante à son goût et, par conséquent, prévoir sa forme visuelle.

Restreignons-nous au cas où l’objet à observer est un homme. Nous savons le reconnaître en le regardant ou en l’entendant parler ; le chien en le sentant ; tel autre animal, par tel autre organe des sens que nous ne possédons pas et dont nous ignorons le fonctionnement. Si un observateur a trois moyens essentiellement différents de reconnaître un individu, il est indispensable que ces trois moyens ne lui fournissent pas des renseignements contradictoires. Dans le cas général aucune contradiction n’est possible ; nous prenons connaissance d’un homme en le voyant, puis nous l’entendons parler et nous associons dans notre mémoire le souvenir de la forme visuelle de son corps au souvenir de la forme auditive de sa voix ; ensuite, comme la voix et la forme d’un homme adulte ne changent guère, quand nous reconnaîtrons un individu à l’un de ces deux caractères, nous pourrons prévoir le second sans nous tromper. Mais nous aurons établi ainsi un lien factice entre les deux diagnoses de l’individu. Tout à l’heure, au contraire, quand nous avons reconnu, dans une phrase parlée, d’une part une forme auditive,