Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/174

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d’autre part, au moyen de l’enregistreur, une forme visuelle, il y avait entre ces deux formes un lien naturel et fatal ; il était certain que la forme visuelle de l’enregistreur, actionnant le stylet d’un phonographe, redonnerait à notre oreille l’impression auditive déjà perçue ; l’une des deux formes étant connue, l’autre ne pouvait pas être différente de ce qu’elle est ; il n’y avait là qu’une forme traduite de deux manières.

En est-il de même pour la forme visuelle de l’homme et la forme auditive de sa voix ? Nous prévoyons immédiatement une différence, parce que la voix de l’homme est une manifestation, non pas de sa structure totale, mais de la structure d’une petite partie de son corps, savoir, l’appareil phonateur. D’autre part, ce que nous savons de la corrélation qui existe entre les diverses parties d’un individu nous pousse à croire qu’il y a un lien entre la structure de l’organe phonateur et la forme du corps. Ne vous est-il pas arrivé d’être stupéfait en entendant sortir une voix grêle du corps d’un géant ou une voix de stentor du gosier d’un pauvre être chétif ? Aucun physiologiste n’est capable, dans l’état actuel de la science, de prévoir la forme d’un homme à la simple audition de sa voix, ou réciproquement, de prévoir sa voix en connaissant seulement son corps. Mais enfin, chaque homme a une voix qui lui est propre et toute la biologie tend à nous faire penser qu’un individu est défini entièrement dans une partie quelconque de son être…

Pour l’odeur, les probabilités sont encore plus grandes ; l’odeur nous renseigne sur la nature chimique des corps vivants et, d’autre part, il est établi que la nature chimique des corps vivants dirige leur morphologie. Il paraît donc indéniable que la forme olfactive d’un individu est absolument liée à sa forme visuelle, sauf les mutilations qui peuvent transformer le corps, le rendre manchot ou boiteux, par exemple, le balafrer et le rendre méconnaissable, sans changer son odeur, caractéristique de sa composition chimique. Et ceci tendrait à prouver que l’on est mieux renseigné sur un individu quand on connaît bien son odeur que quand on connaît sa forme extérieure, laquelle est susceptible de se modifier sous l’influence des accidents extérieurs. Quand Ulysse revint à Ithaque, sa forme visuelle avait tellement changé qu’il fut méconnu des siens, mais il fut reconnu par un chien qui avait conservé le souvenir de sa forme olfactive. Si donc les chiens se font réellement de nous une image olfactive, ils nous connaissent mieux que ceux qui ont seulement fixé dans leur mémoire notre forme visuelle.

Maintenant une question se pose ; s’il y a un lien indissoluble