Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/50

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cher à loisir la solution du problème ; pendant ce temps la pauvre humanité grouille et souffre, mais cela vous est bien égal !

— Cela ne m’est pas égal du tout, mais je ne crois pas à l’efficacité de votre lutte ou du moins à son efficacité durable. Vous utilisez votre autorité et vous obtenez que quelques pauvres diables vous suivent comme des moutons de Panurge. Vous faites en cela exactement ce que fait l’Église ; vous obtenez des résultats transitoires et insignifiants. Ceux qui votent avec vous sont-ils plus heureux, plus honnêtes, plus sobres que ceux qui votent avec le clergé ? S’enivrent-ils moins le jour des élections ? J’ai assisté à cette triste chose pendant les vacances. Le candidat blanc et le candidat rouge employaient les mêmes procédés ; ils saoulaient leurs électeurs pendant huit jours pour les préparer à faire acte de citoyen. Et l’on tire vanité des résultats ainsi obtenus ! on crie à la victoire ! La vraie victoire, ce sera d’avoir instruit le peuple, de manière que chacun puisse penser par lui-même et n’ait pas besoin de choisir entre l’autorité du curé et celle du médecin ; il faut instruire le peuple !

— Il faut instruire le peuple, c’est tout à fait mon avis, répéta le docteur ; il faut lui apprendre que les curés le trompent avec leur catéchisme, et lui font espérer la vie éternelle pour leur donner la résignation, pour éviter qu’il se révolte contre les riches et les puissants. Plaignez les riches, mes frères ! il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au paradis ; soyez heureux d’être pauvres, vous connaîtrez un jour votre bonheur ! Oh ! oui, il faut instruire le peuple pour qu’il ne se laisse plus exploiter par ces hypocrites entrepreneurs de misère perpétuelle.

— Vous sortez déjà du programme, dit M. Tacaud ; si vous apprenez aux humbles que les prêtres les trompent, vous employez l’argument d’autorité exactement comme ceux que vous combattez ; vous leur imposez votre manière de voir. Ce n’est pas là un enseignement vraiment indépendant. Il faut leur apprendre des faits et non des opinions. Vous m’avez dit tout à l’heure avec une rare franchise que vous aviez de la sympathie pour les théories matérialistes, sans les connaître complètement d’ailleurs, depuis que vous êtes devenu anticlérical. Beaucoup sont dans votre cas et ce sont là de mauvaises recrues pour le matérialisme. Une vérité n’a pas besoin de flatter les passions des gens ; il faut qu’elle s’impose à leur raison indépendamment de toute considération d’intérêt ou de sentiment.

— Mais précisément, interrompit le médecin, c’est à l’intérêt et au sentiment des gens que s’adressent les curés pour faire ava-