Page:La Revue blanche, Belgique, tome 2, 1890.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La revue blanche
Série 3. — No 3.


CHOLÉRA

Et les ténèbres, et la Ruine, et la Mort Rouge, établirent sur toutes choses, leur empire illimité.
Poë.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

17 Janvier. — « Karaman, 15 janvier 1890. — Le choléra vient d’éclater en Asie Mineure. » J’ai lu ceci, dans le Figaro du 16, à la deuxième page du journal ; la petite ligne, imprimée en menus caractères, était comme perdue dans les « dépêches étrangères. » Cela m’a frappé. — J’ai cherché dans les journaux d’hier et d’aujourd’hui ; aucun ne fait mention de ce télégramme. Pourtant la nouvelle a son importance.

19 Janvier. — Je suis sorti à 5 heures. Fait un tour de boulevard ; temps de printemps un peu frais, excellent pour la marche. J’éprouvais la rare joie de vivre. J’ai en ce moment, comme un renouveau de gaieté ; et je me sens très souple, très heureux. Dîné au restaurant, passé la soirée à Cluny. J’ai parcouru les journaux au café et j’ai cherché dans la correspondance étrangère. Rien d’intéressant.

21 Janvier. — On m’a encore parlé du choléra, aujourd’hui. Singulière coïncidence ; depuis trois ou quatre jours le hasard fait que cette sotte idée se jette inopinément au travers de mes causeries. J’ai rencontré deux amis de collège, internes à la Pitié. Ils se sont mis aussitôt à s’entre-raconter leurs cas de la matinée. C’est leur pose : Josué surtout prend un malin plaisir à m’étaler ses dissections et ses autopsies ; j’ai horreur de cela. En plaisantant, j’ai détourné la conversation sur l’Influenza. « Nous ne rirons peut-être pas dans six mois, m’a dit Josué ; on affirme que l’influenza précède ordinairement une épidémie plus grave. » Il m’a quitté là-dessus. Pourquoi m’a-t-il dit cela ? Était-ce pour me mystifier ? Il sait combien j’ai peur de la mort, peur de la maladie.

23 Janvier. — J’ai retrouvé dans mon journal ce que Josué m’a dit l’autre jour. J’ai voulu en avoir le cœur net, et j’ai feuilleté divers travaux de médecine. J’ai consulté : Bouillaud, Traité du choléra morbus, le rapport de Briquet dans le Recueil des Mémoires de l’Académie Impériale de Médecine ; les travaux de Blondel, de Gendrin, le Bulletin de la Conférence Sanitaire de Vienne. Ces ouvrages de médecine sont d’une lecture très attachante, et plus littéraire que je ne me l’imaginais : la description