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que des artistes meurent de faim, parce qu’il n’est pas nécessaire que leur œuvre d’art plaisent et « rapportent. » Nous ignorons encore l’art démocratique rêvé pour de lointains avenirs par Charles Henry. Plus que jamais aujourd’hui (et demain ce sera pis), l’art est un mandarinat.

Le succès apparent de tel artiste intransigeant a des raisons à côté et fortuites. La littérature, qu’on se le dise, n’est pas une autonomie et moins encore un métier. Ce qui m’étonne dans le cas de Jean Lombard, n’est donc pas sa pauvreté mais son obscurité. Barbey d’Aurévilly, Villiers sont morts pauvres, mais glorieux, glorieux auprès des cinq cents qui importent. Je ne leur compare certes pas Lombard mais ce fut un artiste qui peina sur son œuvre et la réussit. Le hasard d’une conversation avec Pierre Vebert qui lit tout, me donna le désir de connaître quelques pages de Lombard, il n’y a pas trois mois. Aujourd’hui, des amis pieux, M. Marguerite, M. Mirbeau font à la mémoire du pauvre romancier la gloire qu’il mérite. On lira ses belles évocations de Rome et de Byzance décadentes qui rappellent sans servilité la manière du Flaubert de Salammbô. On lira Jean Lombard. Mais les autres ? Car son cas n’est pas unique. Il en est d’autres qui méritent la gloire (si la proposition vous paraît ridicule, je dirai : que nous méritons de connaître et d’aimer) et qui, maladresse ou résignation, demeurent obscurs.

Il est pénible d’ouvrir tous les livres qui paraissent, mais c’est le devoir de ceux qui se chargent de les signaler, c’est notre devoir, de tout lire, de tout ouvrir au moins, et pas seulement ceux que déjà nous avons coutume de lire mais les premiers venus, les inconnus. Et dans cette besogne une découverte nous paye les écœurements des feuilletages vains.

Le prochain mois, outre trois livres au début nommés, et ceux qu’il y aurait urgence à analyser, j’étudierai un certain nombre de livres de vers frais parus. Il est trop tard pour commencer ici. Qu’avant de signer, je m’excuse d’avoir rédigé cette Chronique d’été, sur des coins de table d’hôtel, et d’un crayon, hélas, inattaquable ce qui n’aura pas manqué d’obscurcir mes déductions et d’anémier mon vocabulaire.

Lucien Muhlfeld.