Page:La Revue blanche, t1, 1891.djvu/187

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était trapu, coiffé d’un noir serre-tête de cheveux ras. De son visage blême émanait une arrogante hostilité. Il était peu loquace. Son vocabulaire se limitait à une parole historique, énergique et brève, qui lui servait tour à tour à exprimer sa colère, sa tristesse, sa stupeur ou ses espoirs.

Or c’était une tristesse morne que ce mot favori traduisait ce jour-là. Les deux compagnons, à bout de ressources, étaient perplexes. S’ils avaient eu vent de quelque mauvaise action avantageuse qui, pour un mois ou deux, eût pu les tirer d’embarras ! Mais la Toque avait beau faire galoper son imagination autour des villas de la banlieue, il ne voyait partout que danger trop grand ou profit trop aléatoire. Or c’était un garçon prudent ; il lui fallait de bons coups de « père de famille », et ces opérations-là ne se trouvent pas tous les jours. Il faut avoir été pressé par la nécessité pour se rendre compte que les occasions d’égorger profitablement son prochain sont beaucoup plus rares qu’on ne pense.

Le jeu de bonneteau, que la Toque et Bubu pratiquaient avec une certaine habileté, exigeait une mise de fonds qu’ils étaient hors d’état de fournir.

C’est ainsi qu’ils méditaient, devant leurs verres vides, et vides à jamais maintenant, car les raisons majeures qui s’opposaient à l’amélioration de leur sort leur interdisaient les consommations renouvelées.

C’est à ce moment qu’entrèrent dans Paris par la porte de Flandre la fée princesse Adonide et l’enchanteur Alysson, chevauchant des licornes blanches, dont un étui d’argent enserrait la longue corne d’ivoire. Ils étaient suivis par un docile casoar, qui portait les provisions de bouche, des sandwichs de pain doré au foie d’oiseau bleu, ainsi qu’une réserve de lait d’hermine, incluse en deux petits tonnelets de bois des îles.

Les deux voyageurs fabuleux, vêtus d’un simple costume de brocard mauve, de demi-saison, n’excitèrent pas sur la place des Abattoirs le mouvement de curiosité auxquels ils étaient en droit de prétendre, et qu’ils ne