Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/401

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fou, les Arméniens exaspérés ne pouvaient répondre que par une conduite folle, qu’ils avaient soif de venger leurs milliers de frères massacrés et qu’ils ne cesseraient pas jusqu’à la dernière bombe et à la dernière balle. » Alors le capitaine l’a menacé de le faire écharper s’il ne se rendait pas ; Knouni lui a montré des bombes dans une main et un revolver dans l’autre, et il a crié : « Celles-ci sont pour vous, et ça c’est pour moi ; vous ne m’aurez pas ! »

Et il a continué. Toute la nuit on a fait feu des deux parts.

Cela a duré jusqu’à sept heures du matin. Mais Husni-Bey, le directeur de la police, qui était arrivé de Stamboul, avait donné l’ordre d’entrer dans les maisons attenantes à la terrible maison, de trouer les murs et d’arriver ainsi dans la maison où se trouvaient les révolutionnaires. À sept heures, on n’avait déjà plus ni bombe ni balle ; un seul mur restait à trouer ; on entendait déjà les coups de hache ; hommes et femmes, tous prirent un poison pour ne pas tomber vivants aux mains des Turcs ; et, au moment où le mur de la chambre cédait sous les coups des soldats, Knouni se déchargea le revolver dans la bouche. Les Turcs le trouvèrent mort. Ils lui coupèrent la tête et la pendirent à la fenêtre. Les autres étaient morts aussi, excepté les trois femmes qui avaient pris le poison à trop petite dose. Elles furent incarcérées.

La même chose s’était passée, dans cette même journée, à l’école communale de Psamatia, où des dizaines de jeunes Arméniens avaient tué, à coups de bombes, un grand nombre de soldats et presque démoli, à la dynamite, la caserne qui se trouve en face de l’école.

Dans la même journée encore, une jeune fille toute seule dans sa maison, a jeté des bombes, pendant cinq ou six heures sur les soldats dont elle a tué une centaine. Elle a été arrêtée.

Le lendemain, les Turcs ont massacré les Arméniens qu’ils ont rencontré dans les rues désertes de Psamatia. Après, ce fut le grand massacre dans tout Constantinople, le régime de terreur, l’arrêt de la vie normale de la ville, l’anarchie gouvernementale et le mouvement éperdu d’émigration.


Et voilà où est arrivé ce vaste pays, ― le plus beau, le plus riche pays de la terre, ― qu’un caprice du Destin confia aux mains destructrices d’une race stérile. Pour ne pas accorder au peuple le plus utile du pays la justice qu’il réclame, un sultan stupide transforma son empire en un immense champ de carnage, en lançant races contre races, en allumant les fanatismes et les bas instincts de féroces parasites, et en poussant des hommes d’un peuple renommé par sa sagesse et sa résignation aux plus excessives explosions de désespoir. Et le pays se précipite à sa perte. Les rages attisées, les fanatismes aiguisés deviendront demain impossibles à compter, lorsque, le butin fini, le besoin du pillage et du meurtre va renaître. Les pires catastrophes sont à attendre. La populace musulmane, qui a pris goût à ce grand bain de sang et d’argent, va tomber sur les Européens lorsqu’il n’y aura plus rien à tirer des Arméniens.

Et c’est la situation économique qui va mener là. L’élément