Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/460

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cher le mâle de bonne heure. On évite ainsi l’épuisement des imaginations inassouvies.

Je savais que la famille et le mariage n’existaient plus parmi cette nation ; cependant j’eus beaucoup de peine à entendre discourir ainsi cette jeune mère, qui, les jambes croisées, et les mains frêles, choisissait des pastilles pour sa bouche. Elle reprit.

— Mon second, un fils, a huit ans. Il est un peu en retard, pour son âge. Je crois bien que c’est ma faute. Son père, autant que je le puis établir, était un pauvre vieillard venu jeune, de France, avec l’exode de Jérôme le Fondateur. Encore victime de vos illusions sur le sentiment, il m’aima, comme vous dites. J’étais alors une gaillarde de vingt années. Il parut si malheureux, que je ne lui refusai pas mon corps. Il faut compatir n’est-ce pas, à toutes les faiblesses. J’imaginais que sa semence serait infertile. Le contraire arriva. L’enfant paraît chétif, un peu imbécile. On a dû l’inscrire dans la section des instituteurs. On le gavera, par des procédés mnémotechniques, de grammaire, d’histoire, de géographie ; et il passera sans doute sa vie à réciter cela dans les phonographes scolaires.

— Et maintenant, dis-je, n’espérez-vous pas une autre maternité ?

— Vous pensez qu’en ce pays, l’espoir de bien des femmes est la grossesse. Il y en a d’heureuses qui ne passent pas dix mois hors du Palais des Mères. Tout baiser les féconde. Mais pour le plus grand nombre, la facilité de l’amour les rend bréhaignes. Ainsi, moi, je fus prise à quatorze ans, après la deuxième embrassade. Il en arrive de même à la plupart. Les conditions de ces premières rencontres sont si spéciales ! À la sortie de l’Université, quand nous sommes vraiment femmes, on nous transfère dans la ville de Diane. Là nous habitons les palais des Vierges. Tout le jour nous répétons des danses ; nous essayons de somptueux costumes propres à faire saillir notre beauté ; nous écoutons les phonographes réciter des poèmes et des contes érotiques. Au bout de quelques semaines on donne une grande fête à laquelle sont conviés des mâles de trente ans, élus comme les beaux et les robustes. Ils viennent là en maillots de soie. Le matin il y a un service dans la Basilique. Les archevêques défilent à la tête des processions. On s’enivre d’encens et au son des orgues. Ensuite c’est le cortège admirable des Mères qui passent en litières à grands pans d’étoffes précieuses. Un festin réunit les sexes. Ils s’assortissent. Après cela, revêtues de costumes de ballet, les vierges dansent devant l’assemblée des hommes certaines danses très belles, longues, pour lesquelles on nous éduque dès l’âge de six ans au collège, pour lesquelles on nous perfectionne au lycée et au gymnase. Les danses finies, chacune accepte un breuvage qui enivre, et va s’étendre dans sa loge parmi les fleurs, sur des coussins. L’homme entre. Deux semaines on se livre à la reproduction, soit avec le même mâle, soit avec un autre, plusieurs. Les fêtes se prolongent. Presque toutes, le mois suivant, se trouvent mères, et quittent la ville de Diane.

— Elles n’y retournent jamais.