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à celles qui découvrent les moyens d’embellir et d’ennoblir la maternité.

— Quelles récompenses ?

— L’exemption de travail, pour un, deux, trois ans, pour la vie. Ainsi, trois fois mère je suis dispensée de travail pour neuf années. Je ne vous accompagne point par fonction, mais par amitié envers Théa, afin d’aider sa tâche. Au reste, je me déclare doublement heureuse de cette amitié qui m’offre la joie de vous connaître, Monsieur.

Je saluai. Cette Pythie sembla très charmante. Elle feignit même de me lancer une œillade. Quelque chose comme un rai d’or fauve borda sa prunelle, illumina ses cils épais. Je regardai les globes de sa poitrine assez fixement. Elle s’en aperçut, sourit, et se tournant vers moi, elle déboutonna sa veste, de telle sorte que j’aperçus une peau brune que la respiration gonflait.

— Merci, murmurai-je.

— Cette gratitude est sincère, dit Théa dont la main s’insinuait pour une constatation naturelle vers l’endroit le plus ému de ma chair.

Je ressentis quelque honte, à ce geste non dissimulé. Mais les trois autres voyageurs du salon, ne semblèrent pas y prendre garde.

« À Lucine, deux enfants mâles viennent de naître. Bien constitués », cria en ce moment la voix aigre du phonographe ; elle continua : « Quatre nefs sont parties pour la province de Cavite. Les troupes espagnoles ont été battues à Luçao. Nos alliés incendient les plantations d’Altavila, de Notre-Dame del Pilar… Le compte de la récolte est clos. Les réserves paraissent assez fournies pour qu’on puisse espérer une diminution de travail agraire de cinq heures à la semaine, pendant les travaux de l’an prochain… L’ingénieur Marius a terminé les expériences de la machine à souffler le verre. On pense que la fabrication des bouteilles cessera de nécessiter le souffle humain, dans six semaines… » Un coup de sifflet marqua la fin de la communication phonographique.

— Voilà une conquête heureuse sur la matière, dit à sa voisine, le voyageur assis en face de nous. Je m’en réjouis, car je souffle le verre depuis quatre ans ; et cela m’épuise un peu.

— Vous avez, répondit-elle, des épaules larges qui dénotent des poumons capables de supporter cette fatigue.

— Certes, mais je m’accommoderai fort bien d’une autre besogne ; et je vous avoue que je profite avec joie de mon congé trimestriel.

— Vous allez à Minerve ?

— Oui, j’ai entrepris un travail fort attachant sur les variations des idiomes aryens. À Minerve seulement, les bibliothèques sont assez fournies pour me permettre de mener à bien cette curiosité.

— Comment pouvez-vous, Monsieur, demandai-je, réussir à vous intéresser à la philologie, tout en soufflant le verre.

— Mon Dieu, c’est facile. Ma section travaille de six heures du matin à midi. À quatre heures du soir je me suis promené suffi-