Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/14

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— Qu’est-ce que le Fils ?

— Le Fils est la reconnaissance de Dieu dans l’âme humaine après les péripéties de l’évolution planétaire. Aussi il s’engendra de la race de David, qui descendait d’Adam, comme le montrent les Écritures.

— Connaissez-vous plusieurs incarnations du Fils ?

— Tous les dieux de toutes les religions. Le Fils est le Verbe ; la parole du monde.

— Le Verbe est-il Dieu ?

— Oui ; car le Mot seul est réel. Nous ignorons si les vocables correspondent à des réalités. Par exemple, la mère qualifie rouge, devant son bébé, un objet que celui-ci voit peut-être vert. Au cours de toute sa vie, cet enfant nommera rouge des choses perçues vertes par son organe. Nul ne le détrompera. En effet, les autres disciples s’ils perçoivent jaune l’objet que qualifia rouge l’éducateur, ou s’ils le perçoivent noir, ou bleu, l’appelleront tous rouge, comme le leur indiqua l’autorité du maître. Depuis les origines peut-être, nul ne perçoit les couleurs de façon pareille à celle d’autrui ; mais par tradition tous nomment d’un même mot des sensations contraires. Le daltonisme prouve que certains ne distinguent pas les cerises du feuillage par la couleur. Les erreurs des sens sont innombrables, que révèle la science. Le proverbe dit ; « Des goûts et des couleurs il ne faut pas disputer », tant il semble vrai que mon âme connaît le monde spécialement. L’univers de chacun diffère ; et les philosophies des époques indiquent l’incertitude des rapports entre les noms et les objets. Aucune philosophie ne peut dire si le monde extérieur correspond à ce que nous pensons de lui. L’homme vit dans la prison des sens. Il suit aveuglément la fatalité du Verbe. Le Verbe est Dieu.

— La Cause, le Verbe et l’Idée sont-ils les trois personnes distinctes du seul Dieu. Un et Triple ?

— Un est le centre ; deux est la périphérie de la sphère illimitée ; trois est le rapport entre le cercle et le centre. Un est le Père. Deux est le Verbe. Trois est l’Esprit qui rayonne du Père au Fils ; de la force originelle à l’être humain qui la reconnaît.

— Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

— Ainsi soit-il.

L’institutrice fit un geste. Les adolescentes quittèrent les gradins et se répandirent par les arcades du cloître, en devisant. Elles sautillaient sur leurs guêtres ; les courtes boucles blondes ou châtaines, les raides mèches sautillaient aussi vers l’éclat frais de leurs yeux.

Elles s’assemblèrent dans le soleil, et tournèrent en ronde, les mains unies.

Auprès de la maîtresse, je m’inquiétai de cette religion abstraite.

— Monsieur, répondit la dame, ceci est une étape suprême de l’enseignement religieux. Toutes petites elles apprirent les réponses ordinaires du catéchisme. De classe en classe on ajouta