Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/254

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peu. Ce qui m’a sauvé peut-être c’est l’arrestation de Rossel survenue à ce moment.
ROSSEL
Il a passé avant moi. Le Conseil avait déjà condamné à mort des membres de la Commune, il condamna Rossel à mort. Peut-être y eut-il une détente pour moi. J’avais passé en prison cinq mois. Je fus après deux jours de débats, condamné à la déportation perpétuelle ce qui en matière civile équivaut à la peine de mort. D’ailleurs nous avions affaire à des juges tellement ignares qu’ils ne savaient même pas que depuis 1848 la peine de mort était abolie en matière politique. Des officiers ! Je me rappelle qu’à Versailles j’étais, en prison, le voisin de Rossel ; j’avais gagné notre gardien en lui faisant partager les victuailles qu’on me faisait passer : il nous laissait causer. Je lui dois quelques bonnes heures que j’ai passées avec ce malheureux Rossel, qu’ils n’ont pas condamné à mort, qu’ils ont assassiné. Remarquez que la loi avant 48 punissait de mort les soldats rebelles et ceux qui passent à l’ennemi ; depuis elle ne punit plus de mort que les traîtres : c’est en vertu de cette loi qu’ils ont tué Rossel. (M. Da Costa présent à l’entretien nous fait observer que sur trois officiers poursuivis et jugés par le gouvernement de la troisième République, Rossel, Bazaine et Dreyfus, un seul fut condamné à mort, Rossel.)

— Rossel, poursuit M. Rochefort a été assassiné. Pour moi j’ai été comme chef de bande et pour excitation à la révolte condamné à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée. Plus tard Jules Simon m’a raconté que Thiers avait fait tous ses efforts, pour empêcher qu’on me fusillât. Cissey le voleur, l’escroc qui s’empoisonna, Cissey le général, le ministre de la guerre, le soutien de l’Ordre et de la Religion, Cissey exigeait qu’on me fusillât. Au nom de l’armée il demandait mon exécution. Thiers prit ma défense. Il s’emporta. Il pleura. Il prétendait qu’on ne pouvait mettre à mort un ancien membre du gouvernement… Si on fusillait des membres d’un gouvernement… lui… Mais le fait est, paraît-il qu’il a pleuré pour moi. Il n’aurait même pas voulu qu’on me déportât. Enfin il a consenti que je fusse enfermé dans une île hors de France… Il n’y a pas d’île qui ne soit hors de France. Mais en réalité c’est dans la prison préparée pour moi à Sainte-Marguerite, que fut enfermé Bazaine. Edmond Adam m’a montré une lettre du directeur de cette prison qui m’attendait, et le prévenait qu’il ne serait pas pour moi un hôte sévère, mais que j’aurais à faire son piquet… Vous comprenez que je ne voulais pas de traitement exceptionnel et puis que je redoutais d’être prisonnier pour ainsi dire sur parole. Je pensais déjà à m’évader. Sur ces entrefaites, le 24 mai, Thiers fut renversé et moi déporté. Inutile n’est-ce pas de vous raconter comment je me