Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/265

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ajouter à leurs livres ? À quoi bon, d’ailleurs, en ce moment où l’horizon est si sombre, réveiller le souvenir de cette tragédie effroyable ; des dernières convulsions de la France vaincue et démembrée ?

Cependant vous le voulez et, aussi brièvement que possible, je répondrai aux trois questions que vous me faites l’honneur de m’adresser. Vous me demandez d’abord « quel a été mon rôle du 18 mars à la fin de mai » Vous le trouverez précisé et défini dans l’ouvrage de M. André Lefèvre : la ligue des Droits de Paris ; dans les ouvrages que je citais plus haut ; dans beaucoup d’autres aussi dont le titre m’échappe en ce moment. Qu’importe d’ailleurs les aventures particulières au milieu d’une catastrophe générale ? Avec beaucoup de mes amis, j’ai tâché, au moment où l’armée prussienne victorieuse, campait encore sur les hauteurs de Montmorency, d’empêcher qu’une lutte entre Français éclatât devant elle et sous ses yeux ; j’ai cru qu’à tout prix, il fallait éviter une guerre civile ; j’ai pensé qu’on devait priver nos adversaires de cette joie ; épargner à notre pays cette douleur. Peut-être l’œuvre entreprise était-elle impossible à réaliser et chimérique. Quantité de journalistes et d’historiens l’ont prétendu. Cependant, aujourd’hui encore, il me semble qu’elle devait tenter de bons citoyens.

« Quelle est votre opinion sur l’insurrection et que pensez-vous de son organisation parlementaire, militaire, etc. » ? M. Thiers a dit à la tribune de l’Assemblée Nationale : « l’insurrection de 1871 a été le résultat d’un patriotisme égaré. » Je n’ajouterai rien à ce jugement de l’homme d’État qui l’a combattue et vaincue. Elle paraissait inévitable et fatale à tous ceux qui avaient assisté aux horreurs du siège de Paris ; à tous ceux qui avaient connu les souffrances, du peuple ; ses misères, ses désespoirs, ses colères, ses fureurs, ses longues impatiences, ses frémissements, ses révoltes ses enthousiasmes, ses ivresses, ses espérances obstinées et ses déceptions quotidiennes ; à tous ceux qui avaient vu germer lentement pendant d’interminables mois d’attente, dans tous les esprits et dans tous les cœurs l’irrésistible désir de combattre et l’inextinguible soif de la mort ; à tous ceux qui avaient admiré l’héroïsme et la résolution froide des femmes : les riches jetant leurs bracelets, leurs bagues, leurs boucles d’oreilles dans les sébiles des souscriptions nationales, les pauvres attendant des nuits entières, sans un murmure et sans une plainte les pieds nus sur la glace et leurs enfants dans les bras, à la porte des boulangeries ; à tous ceux qui avaient assisté aux batailles et aux fusillades des avant-postes, où bourgeois, employés et ouvriers, transformés en soldats, tenaient tête, sans broncher, aux vainqueurs de Reischoffen, de Forbach et de Sedan ; à tous ceux qui avaient étudié l’organisation de la Garde Civique, de ses délégations et de ses comités : comités et délégations qui, plus tard, jouèrent un rôle si prépondérant ; à tous ceux qui avaient vécu dans les faubourgs et qui avaient senti croître et se développer autour d’eux des haines impitoyables allumées par les faiblesses du dedans et par les trahisons du dehors ; à tous ceux qui le 31 octobre, à la