Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/295

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véritable service d’évasion, intrusion dans tous les bureaux d’une foule de jeunes gens qui se réfugiaient là, en attendant de pouvoir quitter Paris, laissez-passer accordés à de soi-disant partisans de la Commune sous prétexte qu’ils voulaient aller travailler pour elle en province. Je ne puis songer sans un sourire de pitié à la mère d’un camarade d’école qui vint m’offrir, au ministère même, quelques flacons d’eau de Cologne, afin d’obtenir pour son fils un sauf-conduit ou une dispense de service.

Tous les matins je trouvais dans le courrier du délégué à la guerre une série de lettres remplies d’injures et de menaces, écrites parfois avec une orthographe douteuse et toujours fleuries d’épithètes de haut goût. J’en retrouve quelques-unes dans mes paperasses. Elles étaient naturellement anonymes ou signées de façon peu compromettante. « Mon nom est l’indignation », disait fièrement l’auteur de l’une. Une autre, adressée à Delescluze, se terminait ainsi : « Un enfant de Paris qui te méprise comme le fumier, quand il ne sert plus. » Il y était d’ordinaire question du courroux du ciel, de l’œil de Dieu, de punition mystérieuse qui devait paralyser l’âme et le corps « des misérables canailles ». Quelquefois la vengeance annoncée était moins surnaturelle. Je cueille cette phrase dans une lettre à Cluseret : « Fais attention quand tu passeras dans les Champs-Elysées. Un œil te surveille et un revolver aussi…… Ton rôle, ainsi que celui de tes acolytes, va bientôt finir et prenez garde à votre sale et ignoble peau… »

Les plans de défense, souvent saugrenus, parfois d’apparence sérieuse, arrivaient aussi en abondance. Au bas de quelques-uns flamboyait en caractères énormes le nom de Totleben, le fameux défenseur de Sébastopol.

Faute de mieux, je rassemble encore quelques-uns des petits faits dont j’ai été témoin.

Ceci s’est passé à plusieurs reprises. Un homme se présentait, portant les galons de commandant ou de colonel ; il errait un jour ou deux dans les bureaux ; puis il disparaissait et l’on apprenait que c’était un espion de Versailles.

Je revois le pauvre Millière, qui devait être assassiné sur les marches du Panthéon, comme partisan de la Commune, venant réclamer des armes qui avaient été saisies chez lui au cours d’une perquisition ordonnée par je ne sais plus quel Comité.

Je me souviens d’avoir, en compagnie de Beaufort qui fut tué pendant la semaine sanglante, gardé toute une nuit dans un salon du ministère, un officier du génie qui, trompé par l’obscurité et sa mauvaise vue, était venu se faire prendre du côté d’Issy dans une tranchée occupée par les troupes de la Commune ; l’officier parut surpris d’être traité avec douceur et courtoisie, quand les prisonniers faits sur les Parisiens étaient ou fusillés ou accablés de coups et d’insultes ; je ne sais ce qu’il est devenu dans la suite ; mais, s’il vit encore, il se rappellera son joyeux étonnement.

J’ai entendu H. Stupuy, au nom de la Ligue des droits de Paris,