Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/298

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grands partis, voulant l’un conserver, l’autre changer la base économique de la société actuelle.

M. Élisée Reclus

Mon rôle pendant la Commune, a été nul officiellement. Je me suis trouvé dans la foule anonyme des combattants et des vaincus. Simple garde national dans les premiers jours de la lutte, puis, à partir du 5 avril et pendant un an, détenu dans les diverses prisons de Satory, Trébéron, Brest, St-Germain, Versailles, Paris, je n’ai pu me faire une opinion sur la Commune que par ouï-dire et par l’étude postérieure des documents et des hommes.

Dans les premières années qui suivirent la Commune, il me semblait que tous ceux qui avaient pris part au mouvement étaient solidaires, par le fait de la répression et des outrages subis en commun : je ne me fusse pas alors permis de porter un jugement sur les hommes qui, à mon avis, avaient été peu dignes de la cause défendue par eux. Mais le temps est venu de dire la vérité, puisque l’histoire impartiale commence à se faire et qu’il s’agit de recueillir des enseignements en vue des événements futurs. Je puis donc affirmer que, pendant les premiers jours de la Commune, l’organisation militaire fut aussi grotesque, aussi nulle qu’elle l’avait été pendant le premier siège, sous la direction du lamentable Trochu. Les proclamations étaient aussi ampoulées, le désordre aussi grand, les actes aussi ridicules.

Qu’on en juge par ce simple fait : le général Duval, qui se trouvait sur le plateau de Châtillon avec 2 000 hommes, dépourvus de vivres et de munitions, et qu’entourait la foule grandissante des Versaillais, avait instamment demandé du renfort. On battit le rappel dans notre arrondissement, autour du Panthéon, et, vers 5 heures, environ 600 hommes étaient rassemblés sur la place. Pleins d’ardeur, nous désirions marcher immédiatement au feu, en compagnie des autres corps envoyés des quartiers méridionaux de Paris, mais il paraît que ce mouvement n’eût pas été conforme aux précédents militaires, et l’on nous dirigea vers la place Vendôme où, privés de toute nourriture, de tout objet de campement, nous n’eûmes, pendant plus de la moitié de la nuit, d’autre réconfort que d’entendre chanter dans le ministère voisin les brillants officiers du nouvel Etat-Major :

« Buvons, buvons à l’Indépendance du Monde ! »

À 2 heures de la nuit, un ordre du général fait quitter à notre troupe, déjà bien diminuée par la désertion, l’abri précaire de la place Vendôme et l’on nous mène à la place de la Concorde,