Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

capotes chargées d’eau pluviale, et qui durent réendosser des uniformes humides, alourdis, rêches, pour se battre. Ici, jamais un soldat ne se trouve atteint par une goutte de pluie. Sous la pèlerine, il reste dispos et alerte.

Le premier soir de marche, nous campâmes au fond d’une vallée que protégeait un plateau couvert par les patrouilles et les lignes de sentinelles. La cavalerie à dix-huit kilomètres en avant, sondait les bois. La sécurité était donc absolue. Le repas fini, comme descendait sur nous la fraîcheur des nuits tropicales, les soldats organisèrent des danses afin de se réchauffer. Cela finit, dans ce pays immoral, par une galanterie de gaillards venus en visite aux cantonnements de l’artillerie et du service sanitaire où les femmes sont le nombre. Rien ne se passa avec bruit ou fureurs ; mais familialement.

— Comment, dis-je à Pythie, la discipline n’interdit-elle pas ces satisfactions ? Les malheureuses pourraient devenir enceintes au cours de la campagne, par hasard, et cela diminuerait les effectifs.

— Enceintes !.. Mais tous ces gens sont stériles. Dès que les groupes désignent l’un ou l’une d’entre eux pour être incorporé, on dirige le nouveau militaire sur l’hôpital de Mars. Là, le fauteur de disharmonie sociale est anesthésié par les chirurgiens. On accomplit l’ablation des ovaires, ou l’on provoque l’atrophie d’un testicule, suivant le sexe. Ainsi, l’atavisme ne pourra perpétuer leur tendance à la destruction dans les temps futurs. Ils sont voués à la stérilité définitive. Nous préservons la race contre la honte de détruire.

— Ces opérations ne sont-elles pas dangereuses ? et n’est-il pas des patients pour rester entre les mains des docteurs ?

— Peu, répondit Théa. Notre chirurgie est fort experte sur ce point, parce que, dès l’installation des villes, Jérôme le fondateur, obligea nos gynécologues à perfectionner sérieusement ce genre d’intervention. Quiconque a pêché par haine ou par convoitise ne se reproduira plus.

— C’est terrible, dis-je. Que faites-vous de la liberté, de la personnalité ? Vous créez une race de numéros sans caractère, sans passions.

— De purs esprits.

— Si l’intelligence n’est pas précisément la résultante des conflits entre les passions et l’altruisme, entre les instincts et la pitié, ou de spectacle de ces conflits…

— Qui sait ? fit Pythie. Il fallait bien tenter l’expérience…

D’ailleurs si la personnalité de chacun s’efface, le caractère de la race ne conquiert-il pas l’unité la plus admirable. Le but d’un effort pareil au nôtre est précisément de substituer la personne de la race à la personne de l’individu. Celle-là se heurtera contre les caractères des autres nations, contemplera les luttes des autres nations ; et son intelligence collective augmentera en bloc, par le spectacle de ces conflits à la suite de ces conflits, à mesure que diminuera l’initiative individuelle.