Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/372

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est abandonnée, veux-tu y venir avec moi ? » En chemin, nous réunissons quelques troupes et notamment les débris de deux bataillons de ma légion, lesquels avaient pris part, pendant toute la durée de la Commune, aux hostilités du côté Asnières-Neuilly. Rencontré aussi Lisbonne à la tête de son état-major, et c’est entre Vermorel et lui ce dialogue ; « Qu’est-ce qui se passe là-bas ? — Il n’y a plus moyen de tenir. — Nous y retournons, viens avec nous ». Tout l’état-major de crier : « Non, c’est impossible ! » Lisbonne fait faire volte-face à son cheval que les officiers retiennent par la bride. Alors Vermorel : « Je suis membre de la Commune et je vous donne l’ordre de marcher. » Nous voilà partis avec quelques officiers.

Theisz, en tenue de garde national, était avec nous. À la barricade nous distribuons les hommes. Nous passons en revue les barricades voisines et parvenons à les garnir. À celle de la rue Popincourt, nous trouvons Ranvier. Il y avait une accalmie. Vermorel et moi retournons à la mairie du xie, où nous recevons des nouvelles de Varlin qui avait pris la direction de la défense à la Bastille. Vermorel me dit : « Je suis esquinté. Avant d’aller plus loin, je vais prendre un bain ; ça me remettra. » Nous avions à peine fait quelques pas hors de la mairie que nous rencontrons de nouveau des fuyards venant de la barricade du Château-d’Eau. Nous essayons de les rallier et nous voilà de nouveau à la barricade. Vermorel dit : « J’apprends qu’on va faire sauter les maisons d’angle, ça vous est égal de sauter avec ? » Il s’éloigne de quelques pas et je le vois au milieu de la barricade. Theisz et Lisbonne étaient toujours là. Tout à coup, j’entends : « À moi, Jaclard ! » À ce même moment, sur la crête de la barricade, un gamin, le drapeau à la main, apostrophait les Versaillais ; un garde national le tirait en arrière. Je soutiens Vermorel.
VERMOREL
Je vois Lisbonne tomber. J’entraîne à quelques pas de là Vermorel, et, me retournant, je revois le gamin sur la barricade. Il tombe. Nous arrivons à la rue voisine. J’étends Vermorel sur le trottoir. Une cantinière, une ravissante petite fille de dix-sept ans, lui donne à boire et l’embrasse. En levant les yeux, je vois devant moi Delescluze, morne. Un de ceux qui l’accompagnaient lui dit : « N’allez pas plus loin. » Delescluze ne répond pas. On emporte sur des fusils Vermorel à la mairie du xie… il n’y avait désormais plus personne derrière la barricade. Tous étaient tombés ou avaient disparu.

Un moment après j’avais rejoint Vermorel et lui faisais un premier pansement. Il avait la cuisse traversée de part en part près de la hanche.

Dans la soirée, je reviens à la mairie et le fais transporter dans une maison qui est au coin du boulevard Voltaire et de la place du Trône, et où habitait le père d’Olivier Pain. Ranvier, ceint de son