Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/387

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la fois sur divers points, marchant au même but, à la conquête de la satisfaction des besoins matériels, avant celle des besoins moraux, ce que je n’aurais pas cru possible avant 71. Contrairement à cette époque, aujourd’hui le peuple croit et sait très bien qu’il lui est indifférent qu’on lui apprenne à pouvoir lire qu’il y a beaucoup de blé en Amérique si on l’empêche de pouvoir le manger ; il sait que s’il a le ventre creux il lui est égal de savoir que la lune nous envoie treize fois moins de lumière que nous ne lui en donnons ; il veut vivre et bien, puisqu’il produit tout. Il a cru pouvoir acquérir ce bien être par les révolutions politiques, — nos défaites lui ont montré qu’il ne le pouvait. Celles-ci n’auraient-elles que fait cette démonstration qu’elles auraient encore eu raison d’être, c’est autant de gagné.

Pour terminer, je confesse avoir beaucoup de regrets de n’avoir pu faire davantage ; mais mon plus cuisant remords est d’avoir mérité ce terrible soufflet : j’étais en exil, me disputant avec Jacques Gross, devenu depuis l’un de mes meilleurs amis, il me lança cette apostrophe : Tais-toi donc, élu !

A. P.
M. Lissagaray

M. Lissagaray a écrit en six cents pages documentées l’Histoire de la Commune de 1871. Il n’y avait donc pas lieu à longue interview. Nous lui demandons d’abord quelques anecdotes.

— Des femmes eurent-elles un rôle ?

— On en vit pas mal derrière les barricades. Quant aux pétroleuses, c’étaient des êtres chimériques, analogues aux salamandres et aux elfes. Les conseils de guerre ne parviennent pas à en exhiber une. Ces conseils condamnèrent maintes femmes. Peu avaient été mises en évidence par les événements. Louise Michel, — une exception. Devant les juges, elle fut aussi agressive qu’à la bataille et accusatrice. Une autre, qu’on appelait Dmitrieff, eut de la fantaisie sur fond tragique. Elle venait de Russie, où elle avait laissé en plan son mari… On la vit, pendant la Commune, vêtue d’une mirifique robe rouge, la ceinture crénelée de pistolets. Elle avait vingt ans et était fort belle. Elle eut des adorateurs. Soit que le « peuple aux bras nus » lui plût peu à huis-clos, soit que l’amour fut pour elle un sport exclusivement féminin, nul ne put fondre ce jeune glaçon. Et c’est chastement qu’à la barricade, elle reçut dans ses bras Fraenkel blessé. Car elle était aux barricades, où sa bravoure fut charmante. Notons la toilette : grand costume de velours noir.

— Elle fut prise ?

— Non. Et quelques semaines après, elle était installée en Suisse. Fort riche, elle avait un hôtel sur les bords du lac, et fut hospitalière aux réfugiés : il y avait dans ses salons brillante société « de travaux forcés » et autres exotismes, avec quelques condamnés à mort. Puis elle retourna en Russie, rejoindre son mari, lequel mourut peu après.