Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/540

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neaux ? Là s’élabore la transformation prochaine de la vie au cœur des cimes… »

De ses ailes, la nef secoua l’ouate des dernières couches nuageuses, et nous apparûmes à la chaleur du soleil. Sur la mer de blancs brouillards émergeaient, immenses, lépreux, des rocs entassés dans l’horizon de soleil. Nous montâmes encore et découvrîmes, au milieu de ce chaos infini, les fumées d’usines occupant un plateau triste.

« — Voici Vulcain, annonça Pythie. Voici la cité de fer et de feu ; voici la tête ouverte de la montagne métallifère, et la plaine qui retentit de l’activité des hommes ; et voici le vol des nefs nouvelles qui évoluent dans l’air pour exercer la stratégie des commandants… »

De tous les points du ciel, des escadres planaient, montaient, descendaient par dessus le masque des nuages les dérobant aux curiosités de la terre.

Des arcatures de fer, basses contre le sol, enferment le fracas du fer. Il y a des échafaudages pour enclore les carcasses des nefs en construction. Les grues hydrauliques hissent les énormes pièces des hélices. On ajustait à grands chocs de marteau les assises des mâtures. En haut de tours à claire-voie, supportant, par quatre, une plateforme, certains minuscules êtres achevaient l’arrimage des bâtiments finis. Vaste et léger, l’aérostat ainsi maintenu étale ses ailes au large des tours. Leur ombre, à terre, protège le travail de maintes équipes.

Notre nef commença par entreprendre de vastes cercles en volant. Les voiles s’inclinaient. Depuis la pointe des mâts les focs frémissaient le long des cordes. Nous tracions dans l’air des courbes concentriques qui allèrent se réduisant jusque vers la plateforme de quatre tours. Le vent tournoyait, vibrait. Et nous finîmes, ayant rasé une fois le bord du débarcadère, par y poser doucement.

Les ascenseurs nous mirent à terre. C’est la même ville d’avenues larges, de longues façades peintes, d’arcades où s’ouvrent des salons commodes entre les serres des réfectoires et où les phonographes parlent. Des jets d’eau fusent sur les pelouses des nymphées construites autour des groupes statuaires qui perpétuent le souvenir des inventions. Les quilles des tramways glissent sur le rail des chaussées. On entend la voix des grandes orgues. L’éclosion multicolore des fleurs enivre l’air.

En habit rouge les travailleurs vont, ainsi que les travailleuses. Vers l’entrée des usines il se dresse des portiques admirables où la sculpture représente les travaux de Vulcain, ceux des kobolds et des gnomes remuant les richesses de la terre avec leurs courtes pelles. Le fracas entendu de loin augmente peu quand on approche des usines. Une savante hydraulique ménage des glissements doux. Le fer s’écrase presque sans bruit sous les pilons sourds ; c’est une mie de feu que pétrit un pouce d’acier. Des ventilateurs entretiennent une température égale. Les ingénieurs assis règlent l’effort, en appuyant sur des touches numérotées. Très peu de charges sont mises aux bras des hommes. Des pinces d’acier saisissent les