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Frédéric Nietzsche


Étude et fragments

Nietzsche naquit en 1844 à Rœcken, village de Prusse, Il avait six ans quand son père, qui était pasteur, mourut fou. Il resta seul avec des femmes, qui l’élevèrent.

L’agonie et la mort de son père, le pressentiment de la vie l’avaient fait à sept ans grave et recueilli. Il fréquentait l’école. Mais il ne jouait, ne riait jamais. Il s’isolait, et ses camarades le surnommaient : Le petit pasteur. Quand on le punissait, il se retirait à l’écart, et méditait. Puis, selon sa conscience, il demandait pardon, où subissait sa peine en silence.

Son éveil fut rapide. À neuf ans, il fit des vers. À onze, il composa. « Quand on est maître de soi, écrivait-il à treize ans, on est maître de l’univers. » À quatorze ans, il avait assez vécu pour résumer ses efforts en une autobiographie qui n’est pas sans beauté. Nous en publions un fragment à la suite de cette note.

La date est importante : Nietzsche quitte la maison paternelle, il entre interne dans un gymnase. Il apprend la solitude du cœur, la discipline, la sécheresse, la dureté de la vie quotidienne. Chaque jour il écrit à sa mère, à sa tante ou à sa sœur. Ce sont de courts mots de prose, des vers, parfois quelques mesures de musique, improvisées sur les bancs de l’école. C’est à quinze ans, comme plus tard à quarante, la même production fiévreuse, jetée au hasard de l’instant. L’enfant se plaint, se résigne, ou s’exalte. Il pleure, puis tout à coup s’écrie : « Pour s’instruire, je sais qu’il faut souffrir. » Et il se console de souffrir en s’instruisant passionnément. Il lit Shakespeare, Schiller, Humboldt, les tragiques grecs, Tacite. Il s’assimile avec une avidité d’enfant toutes les idées naturalistes ou mystiques du Romantisme Allemand — mais tant de poésies, tant d’idées s’amassent en lui et s’harmonisent mal. Il pense avec peine, il ne peut écrire. Il a dix-sept ans, et, pressentant ses sensibilités, ses violences, ses contradictions, il a peur pour la première fois. « Je regrette, écrit-il alors, d’avoir été élevé par des femmes. » Trois ans d’études, d’examens, le retinrent encore. À vingt ans, il entra dans la vie.

C’était en 1860. Les temps n’étaient pas beaux. Après l’immense effort de 1848, l’Europe lasse s’était abandonnée. C’était le pessi-