Sais-tu, Francis, ce que je pense du moment…
Et que penses-tu ?
Je pense que du moment je n’aurais point été fâché à rencontrer… une petite demoiselle.
Qu’en ferais-tu ?
Je saurais qu’en faire. (Un temps.) Quand je devrais que la caresser.
Scène II
Décidément, quand on possède quelques mille livres de rente, le séjour de Paris est peu supportable après le Grand-Prix, pendant les mois d’été. J’ajouterai qu’il est moins agréable encore, quand on ne possède que trois francs. Nous sommes aujourd’hui au 28 juin, et il me reste trois francs pour atteindre le mois d’octobre. Or il est douteux qu’il arrive avant trois mois. Il faudra voir passer auparavant juillet, août et septembre, qui sont des mois très ponctuels et qui n’ont pas l’habitude de céder leur tour. En octobre prochain, le contentieux des marchands de marrons ouvrira à nouveau ses bureaux de la rue Coquillière, et j’y retrouverai mon modeste emploi de commis aux écritures : trente francs par semaine, et des places à l’œil pour les Folies-Rambuteau ! D’ici là je devrai m’abstenir des Folies-Rambuteau, et, ce qui est plus grave, de toute nourriture un peu substantielle. Je vais en effet être obligé de composer la plupart de mes revenus… avec l’air du temps, dont les propriétés alimentaires s’affaiblissent de jour en jour… Je n’ai personne à qui m’adresser. Ma grand’mère, qui est morte il y a six mois à Dijon, m’a laissé quelques dettes… Quand j’étais gosse, on me disait qu’il fallait s’adresser à Dieu. Et le fait est qu’il est plein de bonté, quand on a confiance en lui et qu’on ne lui demande rien. Mais dès qu’on vient lui demander quelque chose, l’Invisible… n’est plus jamais visible… Du temps que j’étais riche, les prêtres m’ont enseigné qu’il fallait secourir les pauvres ; je ne les ai pas écoutés, parce que je n’étais pas pauvre. Ah ! que ne suis-je riche, pour venir en aide au pauvre que je suis ! (Il s’asseoit sur un banc.) Ce qui m’ennuie surtout, c’est la question du couchage. J’ai quitté depuis quatre jours ce petit hôtel meublé que voici. Nous n’avions pas les mêmes idées la patronne et moi, sur les dates de paiement.