Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/793

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’être si mal compris, repoussa l’homme en disant tristement : « Mon ami, crois-tu que je sois venu ici pour faire vos partages ». Au reste, il prêchait d’exemple : ce « saint de Dieu » par excellence se vantait de « n’avoir pas une pierre où reposer sa tête », il partageait la bourse de ceux qui se disaient ses disciples, s’invitait parfois à souper, comme il fit chez Zachée, le péager, et, mieux encore, quand ces ressources lui manquaient, il cueillait des épis sur sa route, les broyait lui-même et mangeait ainsi, comme un chemineau.

Je passe les apostrophes terribles contre les riches, et même la parabole des ouvriers de la onzième heure, admirable commentaire de la formule libertaire : « À chacun selon ses besoins », parce que tout cela est trop connu, mais je veux m’arrêter un peu plus sur la plus mal comprise des paraboles, la parabole presque suspecte qu’on n’ose pas expliquer (bien que l’Église en ait imposé la lecture à la messe), parce qu’il faut se placer à un point de vue qui nous paraît inadmissible ; je veux parler de la parabole de « l’Économe infidèle », qui, ne pouvant plus vivre du bien de son maître, dont on lui retire la gestion, se hâte d’en faire part aux pauvres débiteurs de ce maître. Il y a là toute une théorie de la propriété : celui qui possède est toujours cet économe larron, puisqu’il usurpe à son profit une partie de ce qui, en principe, appartient à tous ; et qui ne saisira l’analogie de cette parabole avec la fameuse formule de Proud’hon ? Mais comment ce larron pourra-t-il échapper à l’effrayante malédiction qui frappe le mauvais riche, malédiction si inévitable que le Messie supplie Joseph d’Arimathie, qu’il aime, d’abandonner tous ses biens pour avoir la certitude de s’y soustraire. Le « Fils de l’Homme » indique en ces termes le remède : « Faites-vous des amis avec les biens d’iniquité ! » (ils le sont tous)[1]. À cette condition seulement d’être partagée avec les pauvres, la propriété est supportable. Voilà qui nous mène bien loin des définitions modernes empruntées aux jurisconsultes de Rome.

Je ne sais si le mépris du Messie pour la justice humaine n’est pas encore plus extraordinaire. Il y a, dans Luc, une épisode bien caractéristique. On vient raconter à Jésus que des Galiléens ont été mis à mort pour avoir commis un assassinat, et l’« Oint du Seigneur » s’écrie :

« Pensez-vous que ces Galiléens fussent plus pécheurs que les autres, parce qu’ils ont ainsi souffert ? Point du tout. Si vous ne pratiquez la justice, vous serez tous également coupables », le juge sur son siège comme le pauvre bougre affalé à son banc, entre deux soldats.

Voyons, maintenant, l’attitude du Messie en face des autorités constituées. Il ne donne guère l’exemple du respect, appelant Hérode « un renard », refusant de répondre à Pilate, et ne consentant à payer l’impôt que « pour ne pas faire de scandale ». On affirme du

  1. Et ailleurs : « Prêtez sans rien espérer ».