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Les Jolies Bêtes

Ma...si non è vero, non è ben trovato. PREMIÈRE PARTIE

I

Joie devant son miroir voyait ceci, disait :

— « Des cheveux paille ; des yeux quelconques, bleus peut-être ? une grande bouche sur un petit menton, sous un nez franc, ouvert aux nuages ; des pommettes kalmoukes ; ovale de poire. Le corps est maigre, la jambe est de coq ; le sein tient dans la moitié d’une pelure de citron. Les pieds et les mains sont utiles. » Non, Joie n’est pas jolie.

Ceux qui l’aimaient, voyaient ainsi : des cheveux d’un invraisemblable blond, d’un blond de lune rose, évanouis aux tempes, pâlis d’argent sur un front débonnaire ; une bouche jamais au repos, frémissante de mille choses douces ou gaies, passagères ; un nez agité, petit, droit et fort coquin ; des yeux comme de l’eau dans un rayon et dans une brise. Et, par tout le corps, une élasticité naturelle et cultivée à rendre jalouse une femme-serpent de profession.

Et l’on comprenait que la petite Joie eût été épousée pour se^ beaux yeux !

Pour ce qui est de son caractère, irrégulier comme sa personne physique, le fond en était gai, le fin fond très triste, ce qui produisait à la surface un déroutant amalgame de mélancolique « gosse rie ».

Voilà. Elle était très « gosse ». Pleine d’enthousiasme pour les belles, pour les grandes choses, elle ne prenait presque jamais rien au sérieux ; mais lorsque un tel malheur lui arrivait, elle avait l’âme vidée et dénervée pendant des jours entiers. Surtout s’il pleuvait.

Elle était bonne et très dure. Elle était intelligente, sans aucun sens pratique ; elle adorait aimer et se détachait douloureusement, rapidement.

Son type de bonheur : un palais merveilleux et un cœur plein d’esprit. Reconnaissant l’impossibilité de cet idéal, elle rêvait : La philanthropie active et sans conviction. Et l’art pour l’art, mais si personnel dans ses manifestations, qu’elle y renonçait presque, quoique remarquablement douée, et sachant bien le métier. Comment trouver une note qui n’existât pas ? En somme, sa nature trop bohème, son humeur trop lunatique la rendaient impropre à donner le bonheur à un mari ou même à un amant.

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