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Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/249

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Dans les clouteries, jadis, les chiens tiraient le soufflet. Sous le fouet et la botte gémissaient les pauvres bêtes. On ne les nourrissait pas. La nuit on les lâchait pour qu’ils cherchent pâture et qu’ils nettoient la ville. Et croyant que c’était bien, que cela devait être ainsi, las, à l’aurore, les chiens venaient se remettre à l’attache.

Depuis des siècles, les brutes enfantaient la richesse. Mais elles n’en étaient mères qu’à l’instant de douleur. Sortie de leurs bras jamais la richesse n’y revenait. Elles ne lui donnaient pas de nom, n’en avaient pas une caresse, pas un souvenir. Elles la créaient, simplement. Plus tard quand elle passait, ne la reconnaissant pas, elles s’inclinaient, et admiraient, respectueuses.

Enfant, travaille ; tu as un métier. Tu prends le charbon par pelletées et l’enfournes. C’est cela. Ta vie, toujours. Eh ! bien, réveille la flamme ; elle s’endort, pique-la, retourne-la de tes pinces. Bon ! elle pétille. Maintenant recommence. Et toujours. Tisonne ! Éternelle flamme ! Aurore, crépuscule ? Jamais de nuit. Un atroce et brûlant midi de toute la vie. Tu es un homme, sois utile. La société, elle, a besoin que beaucoup de chauffeurs, comme toi, enfouissent beaucoup de houille. Ne cherche pas plus loin. Que regardes-tu donc ? Ne t’inquiète pas. Remets simplement du charbon.

— Rien… je veux voir.

La flamme crépite, fume, hurle. Il regarde toujours. Ses yeux ne se détachent plus. Il suit la flamme et il ne remet pas de charbon. Regarde, regarde ! Le mystère va s’accomplir.

La fonte se précipite au creuset et s’y fige.

Suis-la, va jusqu’au bout. Là d’autres la martèlent ; comme elle brille ! Vois-tu les empreintes qu’elle a prises ? — Maintenant va partout, tu la reconnaîtras.

C’est ta fille, c’est la richesse, c’est la joie.

Flamme qui mugit, s’élève et que ma pelle fouaille, comme un fouet claque lançant les chevaux au galop, où vas-tu, c’est maintenant l’heure de m’obéir, tu sentiras le mors, arrête ! À nous ! richesse que nous puisions si profond et laissions perdre, fleuve las d’abreuver les insatiables mers ! tu reviendras, docile, à ta ténébreuse source, aux pauvres enfouisseurs de la houille au brasier. Ceux qui ont soif !

Hélas ! les bras sont forts, la tête pèse lourd aussi, pleine déjà de désirs, d’espoirs. Mais les yeux ! Il les faut, fascinés, détourner de la flamme !

Il est l’esclave. Les chaînes, sont solides sur lui : la faim, qui ne casse pas, et l’ignorance qui pèse. Le travail prend ses jours, le sommeil prend ses nuits. Il ne peut pas détacher les yeux de cette flamme…

Mais qui dira le possible, le tentable ?

Des voix crient :

— Agis ! Délivre-toi. Romps tes liens, brise tes chaînes !

— Ne pense pas ! j’ai pensé pour toi. Obéis-moi !

— Pense par toi-même. Impose des lois. Proclame tes droits.