Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/392

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des photographies d’amateur ; elle cherchait à pleurer sur elle-même en se remémorant surtout ses anciennes et naïves peines. Mais, alors, le défaut de spontanéité nuisait à son impression ; lorsqu’elle était rassasiée d’hommages, d’ailleurs dédaignés, elle avait encore la plus grande capacité à se confondre d’humilité. Etrange contradiction !

Dans la consternation, rien ne lui était de secours. C’est pourquoi elle eût voulu mettre le beau temps en bouteille et pouvoir ensoleiller de la sorte et transpoter ses occasionnelles désolations. Avoir des provisions contre l’hébétude, comme on a des provisions de combustibles ! N’avait-elle pas parfois des états de délectation douloureuse par leur excès ? Alors elle tâchait d’emmagasiner le maximum de volupté ; jamais elle n’avait fait échec à son bien-être, elle avait quêté de la vertu jusqu’à manger des viandes trop faisandées ; elle retenait dans les pires choses le claquement particulier de la langue qu’elle avait eu.

Et elle ne suffisait pas à entretenir, malgré cette hygiène, son oubli des fadaises ! Au vrai, elle exigeait trop ; elle était des mois où elle passait par-dessus toute contrariété, des mois de noces spirituelles.

La possibilité de se trouver mal l’effrayait plus que l’accident. Elle jalousait sa prospérité morale à l’égal d’un‘amant, sans lequel il n’y aurait plus que vide et dégoût.

Aussi les jours d’amour de la nature n’étaient pas perdus pour elle. Elle aspirait à pleines narines l’air des acacias. Le paysage ne devait pas nécessairement être d’une beauté originale ; à Meudon, à Vincennes, mieux que dans les endroits troublés par les snobs, elle mettait dans ses prunelles des arabesques d’un aimable coloris. Les tons des reflets d’or sur les verdures vacillaient et tant de motifs de retour sur elle-même lubrifiaient ses yeux.

Ce n’était pas peine perdue. Après avoir assisté au crépuscule sanglant et d’émeraude, la tête lasse de l’encens, l’encens divin du soir qui descend et apporte la médiation des tourments, elle avait saisi l’inanité absolue et stupide d’être raisonnable avec calcul. D’un geste en l’air de la main, en retirant sa mantille, elle congédiait la morosité, les ustensiles de la compassion. Elle était dégagée d’être sage en ne comprenant pas le sublime et hors la loi pittoresque de la candeur de l’être. Son âme semait d’amour, de panique du froid et de l’expliquable. Elle marcherait dans une fresque. Elle serait morte aux résultats.

Ayant tant soufflé,la pauvre créature anéantit définitivement en elle l’atteinte delà réflexion ; elle se déglua et se dépoissa de son humanité partiale. Et elle vécut davantage. Le sommeil même la confia à l’exaltation inanimée. L’empreinte de sa tête sur l’oreiller était l’image de l’abandon sur l’épaule de l’aimé.