Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/205

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Elle s’est tue. Vas-y tout seul, au monde meilleur. Vois-tu, c’était trop loin : tu allais si lentement ! Tu te disais : si je n’arrive pas, lui arrivera ! Non. Il était si las… Aller vers l’avenir ! À quoi bon, quand on peut attendre qu’il vienne à vous !

Dans la tombe, on est bien pour attendre toujours. Va tout seul, petit père, tu m’en rapporteras !

Seul pour accomplir ce que des siècles n’ont pas fait, — des siècles, des peuples, tant de révoltes, et tant d’efforts, — ce que rien n’a pu…

Une Révolution… — Laquelle ? la dernière, la grande, la quatrième, la cent millième, ou la première…

Ose répondre : J’y songe.

— Oui, j’y songe… — Les temps n’est-ce pas, ne sont pas venus ?

Et j’attends. Toute l’humanité songe et attend. Depuis des siècles, depuis elle-même, elle essaye, s’ennuie, espère, se secoue, s’élance, s’arrête, retombe, s’endort, et elle meurt. Elle meurt, mais elle songe toujours, et elle attend.

Quand la douleur se fut tassée en ennui sourd, croûte sous laquelle le mal se guérit peu à peu, Jean se retrouva devant les rêves d’autrefois, avec au cœur non plus l’enthousiasme, mais la rage.

Vertu plus efficace.

Le Dieu nouveau : la Société, il l’avait voulu adorer et servir. Humble il l’avait prié ; car ce Dieu-là aussi voulait l’humilité. Sourd, avare, et cupide, et vide, tel qu’un Dieu, il ne nourrissait que des prêtres, Dieu de ceux qui l’exploitaient.

La foi tenace ne cède pas aux silences divins. Le Breton frappe l’Idole, et croit encore en elle, et jadis, quand le Dieu chrétien régnait en France, des hommes de grande foi, que l’ambition décevait, se vouaient au Diable, Dieu inverse qui permet, de quelque nom la nomme, — Fierté, Orgueil, Envie, — la première vertu ; le Respect de soi-même. Ceux-là voulaient un Dieu, qui les put exaucer. Un Dieu, — le Diable ! Ils opposaient au Dieu des mots le Dieu des actes.

L’homme peut rêver le bien. Il ne peut que le mal. Le Dieu des actes, l’Être du mal.

Paradis, rêve terrestre d’où l’homme chassé déchoit, dès qu’il prétend goûter à l’arbre du réel, — communismes, socialismes, utopies, âges d’or, — et qu’on doit retrouver au-delà de la mort, — toutes doctrines du mieux dans le sort des humains, toutes les charités, les fois, les espérances germées comme un printemps après l’hiver où se sont toutes religions effeuillées, toutes qui s’épanouirent, fleurs belles à voir, mais vaines, fleurs inactives, dont nul n’a pressuré le