— Et tes lèvres ?
Il l’avait saisie, dans une tendresse sauvage, une pitié navrée pour le pauvre être vendable, il la serrait sur lui, la couvrait de baisers, dis, et tes lèvres, et tes yeux, et tes seins, et ton ventre, et tout ton corps, ton cœur, ton âme…
— À toi, à toi !…
Oui, jusqu’ici, mais si près du bord…
Elle se retenait à lui de toutes ses forces.
— Je t’aime, je suis toujours à toi seul, je te jure.
— Tu ne m’as pas volé ?
— Je ne t’ai pas volé !
— Et je ne vole point ! Qu’ai-je pris qui ne fut à moi ! — Tu l’étais, et je t’ai conservée, de toutes mes forces. Sois fière, lève la tête. Je te protège, et t’aime, et ils ne te prendront pas, comme ils ont fait du petit. Voler, c’est vendre ce qui n’a de prix que quand on le donne. Non, je n’ai pas volé. J’ai pris ma part de joie, d’amour… J’ai pris ma part !
Et leurs larmes tombaient, sur leur amour enfoui si profond dans leurs chairs, qu’il fallait de telles écorchures pour le mettre à nu.
Et leurs larmes tombaient, pluie d’été vite bue.
Et leur bonheur durait le temps que leurs larmes tombaient.
Elle jurait de ne jamais le quitter.
Or ce fut lui qui la quitta. Un soir et toute une nuit elle l’attendit vainement.
Certes il eut peur. Pourquoi ? Ne s’y attendait-il pas ! Mais le froid de l’eau étonne qui volontiers s’y jette. Il eut peur un instant, un seul. Puis, cette peur, qui avait glacé le cœur et le ventre, sembla descendre, traverser ses jambes jusqu’au sol, et rebondir, car là, contre le sol, soudainement réchauffée, elle remontait tout le long de lui en bon courage, qui fait face, brille aux yeux, et ricane des lèvres… Et il se sentit grand, puissant, fier, contre tous…
Contre tous, contre la voix de la foule, le cri large, haineux, couard, le « maman » que braillait la société enfant :
— Au voleur ! Au voleur !
Se sauver ? Trop tard. Il court pourtant, essaye.
Derrière lui, c’est une figure pâle d’homme-dogue, — il ne l’oubliera jamais — qui le fixe et le suit, calme, volontaire, féroce, face morne, têtue, rusée et maniaque, avec ce quelque chose de bas des gens qui font leur devoir.
Cet homme fait son devoir. Il ne sait pas ce qu’il fait. Il suit son instinct. Il exerce sa fonction. Il désigne du doigt comme d’autres