Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/454

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En somme l’on a fait ce qu’on a pu pour bien faire. On s’est intéressé à la cause sociale. On n’a pas été heureux. Mais le soleil brille, il se lève radieux, il est clair, comme l’espoir d’une société meilleure, il réchauffe, comme la certitude qu’on a bien fait, et il monte dans le ciel comme l’homme vers l’avenir.

Et cet avenir-là, c’est peut-être aujourd’hui…


Peut-être il viendra si tard, que tous l’ayant oublié s’étonneront qu’il vienne si tôt…

Comme on s’étonne qu’elle vienne, — elle qu’on attend, — la mort. Car le criminel ne l’attendait plus.

Dans sa prison, pas de travail, double ration. On le traite bien, on lui tolère tout : il doit mourir. Il peut lire, causer, fumer, jouer, et il pourrait dormir si à l’aube qui vient, ou à celle de demain, ou à celle d’après, la porte n’allait peut-être s’ouvrir subitement : Debout ! Votre pourvoi est rejeté… Rappelez tout votre courage…

Alors les gueux qui se pressent et reviennent tous les matins, avides de voir un peu de sang diront : c’est donc enfin pour aujourd’hui ! — Et le bourgeois, qui recevra la nouvelle toute chaude avec son chocolat, dans son lit, le matin, rassuré, pourra dire : Voilà qui est bien fait.

Car il est heureux, lui. Pas de travail, triple ration ! On le traite bien, on lui tolère tout. Est-ce pour toujours ! Bah ! autant que lui, n’est-ce pas, cela durera, et que ses fils ! Qui sait, peut être toujours ! Il a des rentes, des femmes, des plaisirs, sports, villégiatures… et il pourrait dormir… si des furieux de basse classe… Mais non ! il dort ; et il dort bien, dort en ronflant, il dort profond. Au nez des revendications sociales son somme s’étale. Et le condamné à mort aussi s’endort. Depuis le temps qu’on parle de choses épouvantables, et qui ne viennent jamais, on s’est habitué. On y pense sans terreur ; ce n’est pas pour demain.

Demain est venu. Ce n’est pas encore pour demain.

Après demain, c’est fête. On peut être tranquille.

Cela fait bien du temps… Pourquoi tarde-t-on tant ?

Des demains se suivent. On tarde toujours. Pour quelle raison ?

Il n’y a qu’une : on veut faire grâce !

On n’osait pas tout de suite. On laissait oublier. Petit à petit les colères s’éteignent. On pardonne.

Est-ce que par hasard on pourrait espérer…

Oui, oui ! on peut. On espère toujours. On espère… On se donne jusqu’à tel jour ; si tel jour, à telle heure, le bourreau ne vient pas, c’est que l’on a fait grâce ! — Tel jour ! Et le jour vient, et non pas le bourreau…

Alors, il a vu libre !

Si l’heure fatale devait venir, elle serait déjà venue. C’est trop longtemps maintenant. Ils ont fait grâce.