Page:La Revue blanche, t16, 1898.djvu/419

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verts ; j’en ai une envie folle… Ma chère Catherine, qu’avez-vous fait, toute cette matinée ? Avez-vous continué les Mystères d’Udolphe ?

— Oui. Je n’ai pas cessé de lire depuis mon réveil. J’en suis au voile noir.

— Vraiment ? Est-ce assez délicieux ? Oh ! je ne vous dirais pour rien au monde ce qu’il y a derrière le voile noir. N’êtes-vous pas enragée de le savoir ?

— Oh ! oui, tout à fait. Qu’est-ce que cela peut bien être ?… Ne me le dites pas ! Je ne veux pas que vous me disiez quoi que ce soit. Je sais que ce doit être un squelette. Je suis sûre que c’est le squelette de Laurentine. Oh ! ce livre fait mes délices. Je voudrais passer toute ma vie à le lire, je vous assure. N’eût été le désir de vous voir, rien n’aurait pu me le faire laisser.

— Chère âme, comme je vous suis reconnaissante ! Et quand vous aurez fini Udolphe, nous lirons ensemble l’Italien. J’ai fait pour vous une liste de dix ou douze ouvrages du même genre.

— Vrai ! Oh, que je suis contente ! Et quels titres ?

— Je vais vous les lire. Ils sont sur mon carnet… Le Château de Wolfenbach, Clermont, Avertissements mystérieux, le Nécromant de la Forêt-Noire, la Cloche de Minuit, l’Orphelin du Rhin et Horribles Mystères. Nous en avons pour quelque temps.

— Tant mieux ! Mais sont-ils tous terribles ? Êtes-vous sûre qu’ils soient tous terribles ?

— Tout à fait sûre, car une de mes amies intimes, miss Andrews, une exquise fille, une des plus exquises créatures du monde, les a tous lus. Je voudrais que vous connussiez miss Andrews : vous seriez charmée. Elle a fait elle-même le plus exquis manteau que vous puissiez rêver. Je la trouve belle comme un ange, et je suis si irritée contre ceux qui ne l’admirent pas… et je les querelle tous furieusement pour cela.

— Les querellez ? Vous les querellez parce qu’ils ne l’admirent pas.

— Oui. Il n’est rien que je ne fasse pour ceux qui sont réellement mes amis. Je ne peux aimer quelqu’un à moitié. Ce n’est pas dans ma nature. Mes attachements sont toujours très forts. À l’une des réunions de cet hiver, je disais au capitaine Hunt que je ne danserais pas avec lui, à moins qu’il ne convînt que miss Andrews était belle comme un ange. Vous savez… les hommes nous croient incapables de véritable amitié. Mais je suis décidée à leur prouver le contraire. S’il m’arrivait maintenant d’entendre quelqu’un parler de vous avec peu d’égards, je m’emporterais comme une soupe au lait. Mais ce n’est pas du tout à craindre, car vous êtes précisément du genre de jeunes filles qui plaît aux hommes.

— Oh, chère ! s’écria Catherine rougissante. Comment pouvez-vous dire cela ?

— Je vous connais très bien. Vous avez tant d’animation… ce qui justement fait défaut à miss Andrews. Je dois l’avouer, il y a en elle