Page:La Revue blanche, t16, 1898.djvu/546

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Catherine se félicitait de l’avoir échappé belle et manifestait son aise avec une surprise reconnaissante. Son compagnon expliqua le phénomène, qui était dû à la manière particulièrement habile et judicieuse dont, à ce moment-là, il avait tiré les guides et manœuvré le fouet. Mais pourquoi, avec un tel empire sur son cheval, croyait-il à propos d’effrayer une voyageuse par la relation des malices de la bête ? Sans s’attarder à y réfléchir, elle se réjouissait d’être sous la protection d’un cocher si accompli. L’animal persévérait dans son allure pacifique et ne marquait aucun goût pour les aventures. Catherine, considérant que ce pas débonnaire réalisait pourtant la vitesse terrifique de dix milles à l’heure, goûtait en toute sécurité le charme réconfortant de l’air frais par un beau et souriant février.

Après un silence de plusieurs minutes, Thorpe dit brusquement :

— Le vieil Allen est aussi riche qu’un juif, n’est-ce pas ?

Catherine ne comprenait pas. Il répéta sa question, ajoutant, pour l’élucider :

— … Oui, le vieil Allen, l’homme avec qui vous êtes.

— Oh ! vous voulez dire : monsieur Allen… Oui, je le crois très riche.

— Et pas d’enfants du tout ?

— Non, pas un seul.

— Fameux pour ses proches héritiers ! Il est votre parrain, n’est-ce pas ?

— Mon parrain ? Non pas.

— Mais, vous êtes toujours avec eux.

— Oui, très souvent.

— Eh ! c’est ce que je voulais dire. Il semble un assez brave vieux bonhomme. J’ose dire qu’il a bien vécu, dans son temps : il n’est pas goutteux pour rien. Vide-t-il encore sa bouteille par jour ?

— Sa bouteille par jour ? Non pas ! Pourquoi penseriez-vous chose pareille ? Il est très sobre. Vous n’allez pas imaginer qu’il fût ivre hier soir.

— Dieu vous aide ! Vous autres femmes, vous croyez toujours que les hommes sont dans les vignes. Eh ! vous ne supposez pas qu’une bouteille suffise à jeter bas un homme. J’affirme que si chacun buvait sa bouteille par jour, il y aurait deux fois moins de malades. Ce serait une fameuse chose pour tous !

— Je ne puis croire…

— Oh, Seigneur ! Y en aurait-il de sauves ! On ne boit pas dans le royaume la centième partie du vin qu’il y faudrait boire. Notre climat de brumes crie à l’aide.

— Cependant j’ai entendu dire qu’à Oxford on boit beaucoup de vin.

— Oxford ! On ne boit plus dans Oxford, je vous assure. Pas un buveur. Vous y rencontreriez difficilement un homme qui aille au-delà de ses quatre pintes… et encore !… Tenez, à la dernière réunion qu’il y eut chez moi, le fait que nous ayons bu en moyenne cinq pintes