Page:La Revue blanche, t16, 1898.djvu/622

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Mlle Tilney s’inclina.

— Vous ne pouvez croire, ajouta Catherine après un moment de silence, combien je fus surprise de le revoir. Moi qui étais si sûre qu’il était parti.

— Quand Henry a eu le plaisir de vous rencontrer la première fois, il n’était à Bath que pour une couple de jours : il y était venu pour nous louer un appartement.

— Je n’aurais jamais deviné cela ; et, naturellement, ne le voyant nulle part, je le croyais parti. N’était ce pas une demoiselle Smith, la jeune personne qui dansait avec lui, lundi ?

— Oui, une connaissance de Mme Hughes.

— Elle paraissait très heureuse de danser. La trouvez-vous jolie ?

— Pas très jolie.

— Il ne vient jamais à la Pump-Room, n’est-ce pas ?

— Si, quelquefois ; mais il est sorti à cheval, ce matin, avec mon père.

Mme Hughes les rejoignit alors, et demanda à Mlle Tilney si elle était prête à partir.

— J’espère que j’aurai le plaisir de vous revoir bientôt, dit Catherine. Serez-vous au cotillon demain ?

— Peut-être… Oui, nous y serons certainement.

— J’en suis heureuse, nous y serons tous.

Elles se quittèrent, Mlle Tilney avec quelques données sur les sentiments de son amie nouvelle et Catherine sans la moindre conscience de les lui avoir fournies.

Elle rentra très heureuse. La matinée avait répondu à tous ses espoirs ; la soirée du jour suivant était maintenant l’objet de son attente. Quelle robe et quelle coiffure aurait-elle, devenait son principal souci. La toilette est toujours chose frivole, et, à lui accorder trop de sollicitude, on fait souvent fausse route. Catherine le savait fort bien : sa grand’tante lui avait fait à ce sujet une lecture, à Noël dernier. Pourtant, une fois au lit, elle resta encore éveillée dix minutes, à délibérer sur la robe qu’elle mettrait : mousseline à pois, ou mousseline brodée. Le manque de temps l’empêcha d’en acheter une nouvelle. C’eût été une erreur, considérable quoique point rare, et contre laquelle une personne de l’autre sexe plutôt qu’une personne de son sexe et un frère plutôt qu’une grand’tante eût pu la prévenir : seul un homme peut savoir combien un homme est indifférent aux charmes d’une robe neuve. Ce serait mortifier mainte et mainte dames que leur apprendre — mais entendraient-elles ? — combien peu le cœur d’un homme est sensible à ce qu’il y aura de coûteux ou de neuf dans leur attirail, combien il est aveugle à la texture d’un tissu, ce cœur, et combien il est incapable d’opter à bon escient entre le jaconas, la batiste, le nansouk et l’organdi, même brodé au tambour. Une femme est belle pour sa seule satisfaction. Nul homme ne l’en admirera plus, nulle femme ne l’en aimera mieux. Mais aucune de ces graves réflexions ne troublait Catherine.

Elle entra dans les rooms, le jeudi soir, avec des sentiments tout